mercredi 14 novembre 2007

4. Relecture critique de la vraie nature du droit de la concurrence

Nous abordons aujourd'hui le cœur de l’objectif de ces articles. Pour trouver un moyen de concilier le droit d’auteur avec le droit de la concurrence, il nous semble indispensable de clarifier préalablement la vision que l’on a de l’un et de l’autre droit. Nous proposons une vision des choses qui prend parti :
- le droit de la concurrence a pour objectif de procéder à une allocation optimale des ressources ;
- le droit d’auteur est un droit multiple.

Dans cet article, nous expliciterons l’idée selon laquelle le droit de la concurrence a pour objectif de procéder à une réallocation des droits en faveur de ceux qui maximiserons leur rentabilité économique. Certains auteurs considèrent le droit comme une construction intellectuelle abstraite. A ce titre, il n’est pas une science du réel comme peut l’être la physique. Par conséquent, le processus de création du droit est toujours le même. D’abord on pose des notions suffisamment abstraites pour survivre aux évolutions de la politique (comme les notions de biens, de personne, d’obligations …). La traduction en droit des évolutions sociales et politiques se fait ensuite fait par l’élaboration de législations spécifiques.

Le droit de la concurrence n’entre pas dans ce schéma, c’est un droit particulier. Il présente deux caractères : il est un droit de régulation et, à notre sens, un droit téléologique.

Notre droit est basé sur le modèle de la réglementation : les normes sont dictées de l’extérieur. Ce modèle a ses faiblesses, notamment le risque que la solution décrétée pour résoudre un problème soit trop tardive et inadéquate. La mode est aujourd’hui de préférer la régulation, plus flexible. En mécanique, la régulation désigne « l’ajustement spontané d’une machine aux objectifs qui lui sont assignés ». Mais si on ajuste une machine, c’est pour qu’elle remplisse mieux les fonctions qu’on lui a allouées. Il faut donc avoir énoncé clairement les objectifs avant de déléguer le traitement des difficultés à des autorités de régulation. On a pu croire que la science des experts qui siègent dans les autorités de régulation permettrait de « faire l’économie des disputes politiques ou des conflits d’intérêts, et de transcender en quelque sorte la vieille opposition de l’Etat et du Marché. L’harmonie par le calcul pourrait ainsi se substituer à l’arbitraire des lois » . La préférence pour la régulation masque en fait une forme démission des autorités publiques face à leur mission d’assigner des objectifs clairs, des directions réfléchies.

L’objectif affiché du droit de la concurrence est de promouvoir l’intérêt du consommateur. Cette vision des choses nous semble simpliste. Si l’on accepte cet objectif tel quel, on peut en effet considérer que le droit de la concurrence et le droit d’auteur poursuivent la même finalité : « par principe, le droit de la concurrence ne s’oppose pas au droit de la propriété littéraire et artistique » car « l’application du droit de la concurrence (…) peut (…) d’ailleurs jouer un rôle prépondérant et nécessaire en faveur du pluralisme et de la diversité culturelle, en veillant notamment à l’intérêt des consommateurs » (Rapport au CSPLA précité, n°12). Selon nous, tous les droits sont conçus pour promouvoir l’intérêt collectif. Si ce simple constat suffisait à écarter toutes les sources de conflit, les trois-quarts des juristes n’auraient plus de travail.

Toutes les relations marchandes, et par conséquent la plupart des relations sociales, ne peuvent se réduire à cette simple dichotomie : l’opérateur de marché d’un côté et le consommateur de l’autre. Sans entrer dans la dénonciation de l’artificialité de la notion de consommateur (beaucoup de manuels de sociologie montrent que les relations sociales ne se fondent pas sur la recherche de la maximisation du profit mais tout au contraire sur le don et l’engagement de l’individu), nous soutenons l’idée que ce n’est pas là le véritable but du droit de la concurrence.

Les articles 81 et 82 sont historiquement une suite logique de l’objectif de libre circulation des marchandises qui lui-même a un but politique : la constitution d’un marché commun. Depuis longtemps, on a soutenu que l’action du droit communautaire de la concurrence était avant tout téléologique. La CJCE l’a rappelé dans l’un des premiers arrêts relatifs au droit d’auteur et au droit de la concurrence, l’arrêt Deutsche-Grammophon : « L’exercice d’un droit de propriété industrielle tombe sous la prohibition du traité chaque fois qu’il apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente, qui (…) a pour effet de cloisonner le marché », car le Traité a comme « but essentiel », la fusion des marchés nationaux en un marché unique.

La concurrence n’est donc pas la fin mais le moyen de la politique communautaire. Rappelons que l’article 2 du traité CE vise d’abord le développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, et une croissance durable et non inflationniste. La compétitivité ne vient qu’après (c’est d’ailleurs pour cela que le débat sur la Constitution européenne s’est cristallisé sur la modification de l’ordre d’importance de ces objectifs). Ces hésitations quant au rôle du droit de la concurrence sont exprimées par les spécialistes de la matière. Ainsi, pour C. Lucas de Leyssac, moins que la « concurrence » en elle même, le droit de la concurrence a pour objectif de mettre en place une « compétition » entre les acteurs .

Partant, une vision critique du droit de la concurrence nous amène à constater qu’il s’agit en fait d’une compétence de politique économique dont les autorités publiques nationales se sont déchargées au profit des autorités de régulation de la concurrence. Si l’on observe la façon dont ces autorités se servent de ce pouvoir, il nous semble que leur action s’inscrit dans un cadre idéologique : celui de l’analyse économique du droit. Ce courant s’est mis en place aux Etats-Unis dans les années 60 à l’université de Chicago à l’initiative d’économistes comme R. Posner, Downes, Dany Becker et Ronald Coase. Ces auteurs ont une approche utilitariste du droit : la fonction du droit est d’améliorer les interactions entre les individus. C’est une approche qui se veut scientifique, donc neutre et non philosophique. R. Coase a fait une analyse de la Common Law en ce sens. Il montre que la Common Law s’est construite presque exclusivement en fonction de l’efficacité économique. D’où son théorème : la distribution initiale des droits importe peu puisque le marché opère une réallocation en faveur de ceux qui maximiserons la possession de ces droits.

Selon nous, le droit de la concurrence est appliqué dans cette optique. Si le vrai but était la seule poursuite de la maximisation de l’intérêt du consommateur, cela condamnerait l’efficacité économique des bien des entreprises et créerait une nuisance sociale importante. Dans un domaine autre que celui de l’abus de position dominante, on prend en compte l’opportunité la notion de « progrès », et indirectement l’intérêt général, grâce à l’article 81 paragraphe 3 du Traité CE relatif aux ententes. Mais pour les abus de position dominante, tels que le refus de vente, aucun moyen légal similaire n’existe. Pourtant, la jurisprudence de la CJCE et du Conseil de la concurrence comporte de nombreux exemples où l’autorité de régulation prend des libertés avec les concepts de droit de la concurrence au nom du bon sens. Aux Etats-Unis, cette démarche s’appelle « Rule of Reason ». Elle n’est pas officiellement acceptée par les autorités de concurrence européennes qui continuent de maintenir l’idée que le droit de la concurrence est un corpus de règles cohérentes.

Mais on doit admettre qu'elle est en germe dans le droit communautaire. Dans l’avenir, l’article 82 devra être réformé. Un rapport de l’EAGCP, sorti en juillet 2005 et intitulé « An economic approach of Article 82 » note les faiblesses du système actuel et fait des propositions de réformes. Or, en substance, il s’agit de constater que, telles qu’elles sont prévues (et selon nous, heureusement pas appliquées), les règles de l’abus de position dominante peuvent être un frein au développement de l’innovation, et donc au profit du consommateur à terme. On note que selon les auteurs de ce rapport, « an economics-based approach will naturally lend itself to a « rule of reason » approach (…) ». Selon nous cette approche est déjà de mise, même implicitement dans certaines décisions, en particulier en ce qui concerne le droit d’auteur.

Par exemple, dans la décision rendue par le TPICE le 17 septembre 2007 et relative à l’affaire « Microsoft », le tribunal relève que la Commission a pris en compte l’impact négatif que pourrait avoir l’obligation faite à Microsoft de donner des licences sur ses spécifications d’interopérabilité (point n° 680). L. Idot avait mis en lumière qu’il s’agissait, d’une application de la Rule of Reason par la Commission (point n°783 de la décision de la Commission du 24 mars 2004). Certains passages de la décision de la Commission sont d’ailleurs tout à fait « coasiens » : « Article 82 must be read in the light of its underlying objective which is to ensure that competition in the internal market is not distorted (…) To maintain competitive markets so that innovations succeed or fail on the merits is an important objective of Community competition policy » (point n°978). Dans un avis du Conseil de la concurrence relatif à la commercialisation des droits sportifs (avis n° 07-A-07 du 25 juillet 2007), certains raisonnements nous paraissent aussi « coasiens ». La loi organise un monopole de la commercialisation des droits sur les rencontres sportives au profit des ligues professionnelles, à charge de répartir les gains de façon solidaire entre les clubs. Cette organisation parfaitement anticoncurrentielle (à l’étranger, les droits appartiennent aux clubs) est justifiée, aux yeux du Conseil par la nécessité de tirer le « meilleur rendement » des droits et d’assurer le « financement des clubs français » auxquels elle donne les moyens d’affronter plus efficacement la concurrence des autres clubs européens.

L’application du théorème au droit de la concurrence permet ainsi d’expliquer, selon nous, l’inconstance des décisions en la matière. Mais, en vertu de ce théorème, le droit d’auteur ne peut être considéré que comme un droit à rémunération. Il ne saurait être toléré un droit moral permettant de s’opposer discrétionnairement à la cession d'une licence. Si la répartition initiale du droit repose sur le principe qu’il appartient à celui qui a créé une œuvre originale, l’auteur n’a aucune place particulière : il doit être amené à céder son droit à l’opérateur qui l’exploitera mieux que lui. Il aura droit à une compensation mais pas à un contrôle sur l’œuvre.

Les autorités de la concurrence sont naturellement amenées à allouer le droit à l’opérateur qui semble capable de l’exploiter avec la meilleure productivité, afin de faire bénéficier la collectivité d’un coût moindre ou d’une prestation de meilleure qualité. C'est pourquoi nous affirmons qu’elles poursuivent un objectif « coasien ». Dans ces conditions, un droit moral exclusif et arbitraire devient un coût de transaction qui nuit à la société. Au final, ce n’est que dans la mesure où la législation du droit d’auteur ne parvient pas à procéder à une circulation des droits vers les opérateurs qui en assureront une exploitation optimale que le droit de la concurrence viendra contraindre l’usage de ce droit.

Romain Hazebroucq

lundi 12 novembre 2007

3. Bloquer le raisonnement concurrentiel au stade de la qualification du « marché pertinent » : une fausse piste ?

Le refus de vente peut constituer un « abus de position dominante » et être sanctionné sur le fondement de l’article 82 du traité CE (et de l’article L420-2 du Code de commerce). Mais pour savoir si le droit de la concurrence est applicable, plusieurs qualifications préalables sont nécessaires : (i) le comportement doit émaner d’une « entreprise » et (ii) cette entreprise doit être en « position dominante » sur le « marché pertinent ».

On a pu soutenir que ces notions n’étaient pas transposables aux titulaires de droits d’auteur. La Commission sur la Propriété Littéraire et Artistique et le Droit de la Concurrence (« CSPLAC »), dans son rapport « Propriété Littéraire et Artistique et Droit de la Concurrence » daté de 2004 considère ainsi que les concepts qu’utilise le droit de la concurrence sont inadéquats relativement à l’usage que font les auteurs de leurs droits de propriété intellectuelle (voir point n° 33). Cependant, nous voulons montrer dans cet article que même si, s’agissant de biens culturels, on trouve des illustrations de cette opinion, cela ne suffirait pas à empêcher une intrusion du droit de la concurrence dans le secteur de l’industrie culturelle.

La question de savoir si un auteur (un artiste) peut être qualifié d’entreprise ne pose pas de difficulté théorique. La notion d’entreprise en droit de la concurrence est excessivement large. On peut crier que « l’art n’est pas une marchandise ». Il n’en demeure que dès l’instant où le titulaire du droit d’auteur obtient une rémunération en contrepartie de l’objet intégrant le droit ou en contrepartie de la cession d’une licence, il est un sujet de droit pour le droit de la concurrence.

Beaucoup plus complexe est la question de l’application de la notion de « marché pertinent », au titulaire du droit d’auteur et à l’œuvre. Or cette qualification est en principe nécessaire, car il faut que l’auteur de l’abus soit en « position dominante » sur un marché précisément délimité avant d’être susceptible d’en abuser.

D’après la définition de la Commission européenne, un marché pertinent comprend « tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques ». le terme « substituable » est primordial, il a donné naissance au test de substituabilité : par exemple, si le prix du ketchup augmente de façon importante, le consommateur se rabattra sur la sauce tomate, on en tire alors la conséquence que ces deux produits satisfont le même besoin et appartiennent au même marché.

Le critère de la substituabilité semble toutefois très difficile à appliquer en matière de droits d’auteur car le lien entre le prix et l’utilité d’un bien culturel est trop subjectif pour pouvoir être synthétisé et systématisé. Si le prix du DVD « Da Vinci Code » augmente, la demande se reportera-t-elle sur le DVD d’ « Harry Potter » ? Qui peut avoir la prétention de décrypter les mécanismes qui opèrent chez le consommateur, lequel, en tant qu’opérateur économique, est censé chercher à maximiser son « utilité » en minimisant le « coût » ? La prudence commanderait ceci : chaque œuvre d’art étant unique par nature, elle serait un marché en soi. Ce morcellement interdirait toutefois toute analyse concurrentielle lisible. D’ailleurs, on sait depuis l’arrêt de la CJCE « Michelin » de 1983 qu’un droit de propriété intellectuelle ne confère pas automatiquement une position dominante à son titulaire

La difficulté de déterminer le marché pertinent n’est pas propre au marché des biens culturels car le critère de la substituabilité fait sens surtout lorsqu’il s’agit de marchés de biens matériels. Ainsi, à propos de l’enseignement à distance (privé et public) on s’est posé les questions suivantes : chaque matière proposée est-elle un marché à part ? Est-ce que la hausse des prix sur les cours de Latin induit un déplacement de la demande sur les cours de Grec ? Pour certains consommateurs, ce qui prime, c’est plus le diplôme qui se trouve à la clef que les matières enseignées, pour d’autres, ce sera une vocation, d’autres encore feront du prix le critère déterminant … Dans une décision de 2005 à propos du CNED (n° 05-D-68), le Conseil de la concurrence a retenu une analyse des marchés reposant sur les types de tarifications (tarifs subventionnés ou non) ce qui correspond à s’éloigner considérablement du test de la substituabilité, et donc de la définition officielle du marché pertinent.

En matière de biens culturels, chaque œuvre repose sur un paradoxe : elle crée sa demande et en même temps se conforme à des « attentes ». L’économiste L. Créton a relevé que la création cinématographique repose sur une « dialectique standartisation-différenciation » ( « Economie du cinéma, perspectives stratégiques », Nathan, 3ème édition, 2003, p41). On dit aussi qu’il s’agit d’une « industrie de prototypes », c'est-à-dire que le succès d’un film résulte souvent de la transgression des cadres de référence. Il crée une attente nouvelle, une mode, dont vont tenter de tirer parti les productions suivantes, jusqu'à ce que la continuité épuise l’attente des spectateurs, et qu’une nouvelle œuvre « impertinente » voie le jour, recommençant un nouveau cycle.

Plus généralement, les économistes considèrent que la consommation de biens culturels a un effet « d’expérience » (plus on consomme un bien, plus le goût pour celui-ci se développe) et un effet «d’externalité » (l’augmentation de la consommation d’un bien par certains consommateurs attise l’envie de le consommer pour les autres). D’où un dysfonctionnement potentiel des marchés.

Ainsi, le secteur de la création des « biens culturels » résisterait à la segmentation en marchés pertinents contrairement aux « biens informationnels » qui, eux, s’inscriraient dans un processus industriel et une logique offre-demande plus lisible. Parce que les conditions d’application du droit de la concurrence ne seraient pas remplies pour les premiers, le droit d’auteur appliqué aux biens culturels serait préservé du risque de qualification d’abus de position dominante.

Cette lecture, bien que commode, confortable et conciliante, ne nous semble pas suffisante. La nécessité de déterminer le marché pertinent, préalablement à tout raisonnement concurrentiel, est remise en question au sein même de la doctrine du droit de la concurrence. Surtout, les autorités de concurrence ne se laissent pas stopper à ce stade et passent par le biais d’autres qualifications.

Prenons comme illustration la création cinématographique. Plutôt qu’une analyse en termes de produits (d’œuvres), les autorités de concurrence se sont accommodées de ne saisir que la seule « distribution » des œuvres cinématographique. Assez tôt, plutôt que de parler directement de marché, le Conseil de la concurrence a préféré constaté l’existence d’une « filière » : « les politiques tarifaires des exploitants de salles, du fait qu’elles peuvent moduler le prix des places de cinéma qui constitue l’assiette de calcul des droits, ont des incidences sur les remontées de recettes dont bénéficieront les distributeurs et par voie de conséquence, les producteurs. Il existe donc une solidarité entre les différents acteurs de la filière cinématographique » (décision n°04-D-10 relative à la Carte « UGC illimitée »).
Cette filière est ensuite divisée en trois marchés : la production, la distribution et l’exploitation des œuvres (avis n°93-A-12). Ainsi, en ne s’intéressant qu’aux supports (exploitation des salles, DVD, vidéo à la demande), on évite de se poser l’épineuse question : qu’est-ce qui motive la consommation de bien culturels ?

Curieusement, dans l’avis relatif à la fusion entre TPS et Canal Satellite (avis n°06-A-13 du 13 juillet 2006), le Conseil a décidé qu’il n’était pas pertinent de distinguer les marchés en fonction des modes de diffusion (à l'exception, curieusement, de la diffusion sur téléphone mobile, voir point n°189). Le régulateur relève le défi de tenter d’appréhender la réactivité des consommateurs aux différentes offres de programmes.
S’agissant du cinéma, le Conseil, s’appuyant sur une jurisprudence de la Commission, estime qu’il existe un marché spécifique des « films américains à succès récents » qu'il met à part. Certes, il note que cette vision peut être « réductrice » (peur de recevoir des remontrances des Cahiers du Cinéma ?). En fait, la suite de l’avis montre qu’il est impossible de fonder une segmentation sur l'analyse des goûts du public. En effet, s'agissant de cette catégorie des "films américains à succès récents", le Conseil avoue en déduire l'existence du fait que le prix et les conditions de négociations des droits de diffusion pour les films américains sont particulières. Est-ce à dire que ce n'est pas parce que le film relève d'un certain genre qu'il est vendu de telle manière mais parce qu'il est vendu d'une certaine manière qu'il relève de tel genre ? Bien que chassé, le prisme de la distribution revient toujours au galop.

Cette façon de contourner les difficultés du test de la substituabilité entre difficilement dans l'orthodoxie du droit de la concurrence, mais en outre, le biais de la distribution des œuvres conduit à d'autres types de difficultés tout aussi insolubles. Ainsi, dans une décision de 2004, relative à Apple, le Conseil de la concurrence a considéré qu’en matière de « DRM », la question de savoir s’il fallait segmenter les marchés par type de contenu ou par type de matériel (baladeur, téléphone portable) ne pouvait pas tranchée car les évolutions technologiques étaient trop rapides (n°04-D-54).

Il demeure que, aussi critiquable soient-elles, les solutions de contournement adoptées par les autorités de la concurrence leur permettent de circonscrire des marchés pertinents dans le domaine des biens culturels. Les titulaires de droits d'auteur sur ces biens sont susceptibles de se retrouver en position dominante sur ces marchés et l'usage qu'ils font de leurs droits peut tout à fait constituer un abus de position dominante si la logique Magill et IMS Health leur était appliquée (voir l'article N°2). S'il on veut préserver certains usages de ce droit, au nom d'impératifs sociaux ou philosophiques que nous définirons, la solution n'est pas de se cantonner à nier l'applicabilité du droit de la concurrence à l'industrie culturelle. Mais nous avons dans l'idée qu'elle peut se dégager d'une analyse des points de friction du droit d'auteur et du droit de la concurrence. Cette analyse passe par une dissection du rôle sociétal de l'un et l'autre droit.

Dans le prochain article, nous prendrons le bistouri et c'est le droit de la concurrence qui passe en premier sur le billard.

Romain Hazebroucq

vendredi 9 novembre 2007

Petit interlude musical de fin de semaine avec Moriarty

Selon le site infoconcert, "la musique de Moriarty est un carnet de voyages et de réminiscences, un cabinet de curiosités, une sorte de folk nocturne et nomade". Nous ne pouvons que confirmer cette description et y ajouter que c'est aussi et surtout un talentueux groupe français. A vous de vous forger un avis...Bonne écoute et bon week-end à tous.


mercredi 7 novembre 2007

2. La menace « Magill » sur le droit d’auteur portant sur les biens culturels

Avec la jurisprudence « Magill » du 5 octobre 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a amorcé un virage fondamental dans sa manière de chercher à concilier le droit d’auteur et le droit de la concurrence. Désormais, l’incrimination du refus de vente peut s’appliquer à tous les usages du droit d’auteur. La question ne se limite plus qu’au fait de savoir si le refus, par un titulaire de droits d’auteur, d’accorder une licence est assimilable, et si oui dans quelle mesure, à un refus de vente. Antérieurement à ce fameux arrêt, la réponse était négative sur le plan de la théorie car on considérait que les domaines du droit d’auteur et du droit de la concurrence s’excluaient mutuellement. Le Traité CE interdit au juge communautaire de remettre en question l’existence d’une protection par le droit d’auteur sur une œuvre, celle-ci ne relève que de la législation nationale des Etats membres.

Au fil d’une jurisprudence complexe entamée dans les années 60, la CJCE s’est efforcée de soumettre progressivement au droit de la concurrence l’usage des droits d’auteur par leurs titulaires. Cela a commencé en distinguant « l’existence » du droit et son « exercice ». Puis, s’est poursuivi en discernant un « bon » exercice d’un « mauvais » : le bon exercice du droit d’auteur étant l’usage qui entrait dans ce que le juge appelait l’ « objet spécifique » du droit d’auteur et cet « objet spécifique » (difficilement défini car il passait par l’analyse de la « fonction essentielle » du droit d’auteur ce qui constitue un débat en soi) était censé être un « safe harbor » (comme on dit en droit financier quand on est chic). Cela voulait dire que tant que l’on faisait un usage de son droit (accorder ou ne pas accorder de licence) conforme à cet objet spécifique, on n’était en aucun cas inquiété par le droit de la concurrence, quand bien même les motivations de cet usage auraient été anticoncurrentielles.

Mais nous avons noté que cette notion, qui devait délimiter comme sur une carte le champ d’action du droit de la concurrence et celui du droit d’auteur (appliquant, selon nous, un arbitrage « horizontal » entre ces deux droits) s’est révélée impossible à définir. Par la technique juridique on croyait avoir dépassé le problème, on n’avait en fait que déplacé, par un jeu sémantique, les difficultés. Plus sortaient les jurisprudences censées mieux définir l’objet spécifique du droit d’auteur, plus ce sanctuaire se voyait traversé par des tunnels et attaqué de toutes parts, si bien qu’on ne savait plus quand on était hors de portée du droit de la concurrence, voire même on doutait qu’une telle éventualité existât réellement.

La conciliation horizontale était donc un échec. Toute cette théorie fondée sur une séparation hermétique entre les domaines de ces deux droits a volé en éclats. Le dernier bastion, l’objet spécifique, est tombé. Le coup de grâce est venu de l’idée que même si l’exercice, par un titulaire, de son droit d’auteur entrait dans le champ de cet objet spécifique, le droit de la concurrence pourrait toujours s’appliquer en cas de « circonstances exceptionnelles ». C’est l’expression « circonstances exceptionnelles » qui constitue la véritable révolution de la jurisprudence Magill : la Cour pose trois critères pour identifier lesdites circonstances, mais il apparaît cependant qu’avec ces critères, les circonstances ne sont plus du tout exceptionnelles, elles deviennent la règle. L’arrêt Magill instaure dans les faits une relation « verticale », c'est-à-dire hiérarchique, entre droit de la concurrence et droit d’auteur, le premier encadrant le second (au mépris de la lettre de l’article 36 du Traité CE mais passons) et définissant lui-même les cas d’exonération.

On le sait, la jurisprudence Magill n’est qu’une première étape. Dans l’arrêt « IMS Health » du 29 avril 2004, la Cour a précisé que par « circonstances exceptionnelles » elle entendait les cas où la licence constitue une « facilité essentielle ». Cette précision est la transcription d’une théorie économique née aux Etats-Unis à propos des gares de chemin de fer. Un refus de concéder une licence sur une œuvre serait vu comme un refus de donner accès à une facilité essentielle, donc comme un refus de vente, donc comme un abus de position dominante. Cette donnée n’a pas été vue comme une bonne nouvelle du côté des supporters du droit d’auteur car les critères de définition d’une facilité essentielle, appliqués à un droit de propriété intellectuelle, amènent à considérer quasiment tout droit sur une œuvre comme une facilité essentielle.

C’est l’avocat général C. Gulmann qui, dans ses conclusions dans l’arrêt Magill, a le mieux résumé les inquiétudes des titulaires de droits sur des biens culturels. Il imaginait ce que deviendrait le droit d’auteur au contact du droit de la concurrence : « ainsi pourrait il y avoir abus dans les cas suivants : un auteur de nouvelles qui s’opposerait à la publication d’une de celles-ci dans une anthologie ; un affichiste qui s’opposerait à l’utilisation dans une carte de Noël d’un dessin protégé ; le titulaire des droits d’auteur sur le personnage de dessin animé « Popeye », qui s’opposerait à l’impression de celui-ci sur un tee-shirt : les propriétaires de journaux paraissant le dimanche qui s’opposeraient à ce que ITP publie simultanément, dans TV times, leurs rubriques spécialisées ; l’auteur dramatique qui s’opposerait à ce qu’une de ses pièces fasse l’objet d’un film ; l’auteur de calendriers lunaires ou de marées, de recettes culinaires ou d’une liste d’églises romanes en Angleterre, qui s’opposerait à la reproduction de ses œuvres. »

Les autorités de la concurrence ont entendu les critiques qui s’élevaient contre l’application de la théorie des facilités essentielles au droit d’auteur. Ainsi, dans un avis relatif aux pratiques de l’INSEE (avis n°01-A-18 du 28 décembre 2001), le Conseil de la concurrence admettait que « le droit des facilités essentielles (…) repose sur une logique qui semble incompatible avec les choix discrétionnaires reconnus aux détenteurs de droit de propriété intellectuelle, dans le cas où la mise à disposition de la facilité suppose également la cession d’un droit de propriété intellectuelle ».

En conséquence de quoi des arrêts de la CJCE, du Conseil de la concurrence et de la Cour de cassation ont restreint le champ de cette notion. Une certaine prudence transparaît notamment dans l’arrêt précité du TPICE daté du 17 septembre 2007 et relatif à l’affaire « Microsoft ». Le Tribunal confirme en tout point l’utilisation faite par la Commission de la démarche dégagée de l’arrêt « IMS Health » mais il ressent comme le besoin d’étayer l’application des critères traditionnels par d’autres constatations qui traduisent une véritable malveillance de la part de l’opérateur. Ainsi, outre le fait bien sûr que Microsoft refusait de transmettre des données permettant à ses concurrents de développer des produits concurrents du lecteur Windows Media Player et compatibles avec le système d’exploitation Windows, le Tribunal relève que la firme n’avait pas toujours agi ainsi. Ceci constituait une « rupture dans le mode de distribution » et trahissait la démarche prédatrice de Microsoft. Ce point est relevé en marge du raisonnement juridique, ce qui n’indique pas encore à notre sens un infléchissement de la jurisprudence IMS Health, mais signal que le juge communautaire est mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’appliquer rigoureusement la théorie des facilités essentielles à un droit d’auteur.

Il demeure qu’en l’état de la jurisprudence, rien ne permet de garantir que les biens culturels sont préservés de l’intrusion du droit de la concurrence, et de la qualification de refus de vente. Nous n’avons que l’assurance de la part des autorités de la concurrence que « cette jurisprudence concerne surtout des biens informationnels qui connaissent une extension considérable de leur champ de protection légale » (Rapport d’activité du Conseil de la concurrence pour l’année 2004).

On ne saurait se satisfaire de cette maigre assurance pour deux raisons. D’une part, cela voudrait dire que l’on sait faire la différence entre les biens informationnels et les biens culturels. Or cette distinction, et derrière, celle de la distinction entre les « œuvres-produits » et les « œuvres d’art » est une impasse philosophique, économique, politique et, a fortiori, juridique. D’autre part, il demeure qu’aucun rempart juridique ne garantit que le pas ne sera pas franchi.

La question de savoir si l’industrie culturelle fait intégralement partie de l’économie ou doit faire l’objet d’un traitement spécial constitue un point de friction au niveau international (on en veut pour illustration les difficiles négociations des accords ADPIC au niveau de l’OMC). Dans ces conditions, il est illusoire d’attendre des autorités de la concurrence qu’elles trouvent à court terme le moyen de brider la jurisprudence Magill et ses suites pour épargner les biens culturels. Nous proposons donc de prendre les devants.

Le prochain article finira de démontrer l’existence d’un risque réel pour les biens culturels en appliquant au droit d’auteur les critères d’application de l’abus de position dominante.

Romain Hazebroucq

lundi 5 novembre 2007

Revue de droit de la concurrence : Le droit d’auteur, le refus de vente et l’abus de position dominante


Précisions Tracklaws sur l'auteur
:

Romain Hazebroucq est juriste en droit des affaires au cabinet d’avocats Kahn et Associés et chargé d’enseignement à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Il a obtenu le Master 2 Recherche « Droit des affaires et de l’économie » de l’université Paris 1 en 2006 et effectué son mémoire sous la direction de Pierre Sirinelli. Il est en outre diplômé du Magistère de Droit des Activités Economiques de Paris 1.

Il a été cofondateur en 2003 et codirecteur de la publication du journal Undix Juridique, journal juridique gratuit développé en partenariat avec Paris X et dont les articles sont écrits par les étudiants de ces deux universités.

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1 - Introduction : de l’huile sur le feu

Le 17 septembre dernier, le TPICE a validé la position de la Commission qui avait condamné, le 4 mars 2004, Microsoft et l’usage que cette firme faisait de ses droits de propriété intellectuelle pour abus de position dominante. Dans le feuilleton (qui dure depuis cinquante ans) des relations conflictuelles entre le droit d’auteur et le droit de la concurrence, cette décision n’est pas un coup de théâtre, bien au contraire, mais elle permet de conforter le tournant pris avec l’arrêt « Magill ». A cette occasion, le propriétaire de ces murs virtuels, à qui nous devons l’opportunité de publier cette série d’articles, a relevé les propos de Mario Monti, Président de la Commission à l’époque de sa décision, pour qui le droit de la concurrence permettait au final de préserver les intérêts du consommateur et l’innovation.

Cette idée rend compte de l’aboutissement de la réflexion sur la compatibilité entre le droit d’auteur et le droit de la concurrence. Elle s’accorde sur le leitmotiv de la doctrine qui prône la conciliation : « de fait, dans une vision simpliste, ces deux corpus juridiques tendent à s’opposer, les droits de propriété intellectuelle conférant à leur titulaire un monopole d’exploitation pouvant être contraire au droit de la concurrence. En principe, les deux domaines du droit que sont celui de la concurrence et celui de la propriété intellectuelle devraient pourtant converger, puisqu’ils ont en commun de contribuer à l’amélioration du bien être collectif » (P. Sirinelli et C. Crampes, Colloque du 2 mai 2006 « peer to peer : droit d’auteur et droit de la concurrence » Revue Lamy du droit de la concurrence mai-juin 2006, n°810, p175). La vérité serait donc que le droit d’auteur et le droit de la concurrence, au fond, visent le même objectif, parfois désigné comme l’intérêt collectif ou l’intérêt du consommateur (ces deux termes seraient donc synonymes ?).

Nous considérons pour notre part que cette conclusion est insatisfaisante. Elle conduit à penser que l’on a éteint le conflit. A notre sens, ce n’est pas le rôle du droit d’éteindre les conflits, mais de les organiser et d’en canaliser la fureur. La soumission des droits de propriété intellectuelle au droit de la concurrence induit un choc frontal entre deux logiques. D’un côté, le droit communautaire s’organise en deux strates : la libre circulation des marchandises qui permet d’instaurer une concurrence à l’échelle communautaire et la répression des ententes et des abus de position dominante qui organise cette concurrence et vise à multiplier les opérateurs offrant un même produit. De l’autre côté, le droit d’auteur s’articule autour de deux principes diamétralement opposés : la territorialité et l’exclusivité.

S’il ne s’agissait que du droit de la concurrence, au niveau microéconomique (celui des choix d’un opérateur individuel) on peut comprendre aisément la contradiction suivante : la concurrence conditionne l’existence du profit puisqu’elle permet à l’entreprise de développer ses activités, mais elle en limite le niveau par la suite. Tout moyen de se soustraire à cette concurrence est assimilé à un moyen de maximiser le profit à long terme et acquiert de ce fait de la valeur. Le droit fiscal va même jusqu’à considérer qu’un accord de non concurrence entre deux firmes constitue une immobilisation, donc un actif, dès lors qu’il permettait le gain de parts de marché et non la simple conservation d’une clientèle.

En comptabilité, les droits de propriété incorporelle figurent, dans le bilan d’une entreprise, dans la section des immobilisations incorporelles. Brevets, droit d’auteur mais aussi marques constituent la valeur comptable d’une entreprise au même titre que des immeubles, des moyens de production et autres biens matériels, du seul fait qu’ils ont un effet anticoncurrentiel. Dans l’arrêt « SIFE » du 11 août 1996, le Conseil d’Etat a considéré qu’un droit de propriété intellectuel était une immobilisation incorporelle à condition qu’il soit un « droit pérenne, source de revenu et cessible ». Ce qui rappelle la formule d’un arrêt de la Chambre civile du 25 juillet 1887 qui précise que le monopole accordé au créateur, puis à ses ayants droit, consiste dans « un privilège exclusif d’une exploitation commerciale temporaire ». Ce qui permet d’affirmer que ce droit exclusif se traduit systématiquement en un monopole d’exploitation. Le monopole induit un « surprofit » qui en fait tout l’intérêt et toute la valeur. Or, originellement, c’est en dénonciation de cette « rente » que le droit de la concurrence a vu le jour aux Etats-Unis.

Pour autant, la conciliation du droit de la concurrence avec le droit des brevets ou celui des marques ne pose pas de problème équivalent à ceux qu’entraîne la mise au pas du droit d’auteur au nom de la répression des pratiques anticoncurrentielles. Les législations nationales concernant la propriété industrielle ont été rédigées en intégrant à la base une logique économique. L’intrusion du droit de la concurrence a peut-être altéré cette logique, mais elle n’en a pas remis en cause la nature. Or en matière de propriété littéraire et artistique, le droit moral est un étendard sous lequel se range le romantisme contre la logique économique, l’exception française contre la mondialisation, la culture contre la marchandisation … C’est une controverse dont on ne peut faire l’économie, qui secoue les fondements du droit d’auteur et pose la question du rapport de l’individu à l’art, du rapport de la société à la culture.

Certes, le débat s’est peut-être fourvoyé tant ces données incitent les auteurs à prendre des partis pris radicaux. Cette dérive provient certainement des oppositions internes au camp du droit d’auteur et qui concernent notamment la consistance réelle du droit moral de l’auteur (droit personnel subjectif ou objectif ?). Cependant, il ne faut pas oublier que le droit de la concurrence est, à notre sens, un droit qui « se cherche » et revisite sans cesse ses fondements, pour la simple raison qu’ils proviennent de la science économique et que la pensée économique libérale (au sens économique du terme et non politique) a beaucoup évolué depuis 1957. Ce domaine nous dépasse, mais notons, pour illustrer ce fait, que le prix Nobel d’économie 2007 a été attribué aux américains Léonid Hurwicz, Erik S. Maskin et Robert B. Myerson pour leur théorie dite de « Conception des Mécanismes » (Mechanism Design Theory) qui décrit justement les interférences sociales et psychologiques qui déforment la conception classique de l’économie de marché. Or ces éléments de complexification ne sont pas encore assimilés par le droit de la concurrence, qui pourtant est la traduction juridique de la pensée économique libérale dans le droit.

Dans ces articles, nous voulons proposer une façon d’aborder cette controverse qui prenne en compte la complexité inhérente du droit d’auteur mais aussi du droit de la concurrence afin d’isoler au plus prêt possible les véritables points de friction et élaguer les faux débats. A cette fin, nous avons réduit notre champ d’examen à l’application de la notion d’abus de position dominante, et plus particulièrement à la pratique du refus de vente. En effet, l’incrimination du refus de vente pose plusieurs problèmes spécifiques quand elle est appliquée à l’utilisation que font les titulaires de droits de propriété littéraire et artistique sur les œuvres culturelles qu’ils exploitent.

Voici un échantillon de ces difficultés : le refus de vente, pour être considéré comme anticoncurrentiel, doit traduire l’intention d’exclure un concurrent du marché. Or, aussi bien en Europe qu’aux US, le problème se pose de trouver un test unique permettant de démontrer qu’un refus de vente procède d’une telle intention. Le « test du sacrifice du profit à court terme » a pour défaut d’aboutir à sanctionner les actes de recherche et développement ainsi que les dépenses de publicité. L’économiste R. Posner propose le « test de l’exclusion d’un concurrent autant voir plus efficace » mais comment évaluer l’efficacité potentielle d’un concurrent ? En matière de droit d’auteur, comment évaluer sa créativité potentielle ? (pour plus de détails sur cette question : François Lévêque « Quel test de preuve pour l’article 82 ? », Revue Lamy de la concurrence, n°11, avril/juin 2007, n°805)

Dans un premier temps, nous partirons de la jurisprudence actuelle pour examiner de quelle façon celle-ci peut permettre de trancher les conflits entre le droit d’auteur et l’abus de position dominante. Le programme sera le suivant :

2 - La menace « Magill » sur le droit d’auteur portant sur les biens culturels.
3 - Bloquer le raisonnement concurrentiel au stade de la qualification du « marché pertinent » : une fausse piste ?
4 - Relecture critique de la vraie nature du droit de la concurrence.
5 - Relecture critique du droit d’auteur : la déconstruction du droit d’auteur.
6 - Le talon d’Achille du droit de la concurrence : la notion de « justification objective ».

Dans un second temps, nous essaierons d’appliquer les méthodes dégagées au droit d’auteur tel que considéré dans sa diversité :

7 - Bases de données et logiciels.
8 - Œuvres littéraires et théâtrales.
9 - Audiovisuel et musique.

Le prochain article dressera donc un constat de la situation initiée par la jurisprudence récente.

Romain Hazebroucq