lundi 17 décembre 2007

Interview Juridiconline


Chers lecteurs,


Le site Juridiconline m'a sollicité pour une interview afin de présenter le blog et grâce à l'intervention de mon ami Vincent Cheminot (l'expert informatique de Tracklaws...), vous en trouverez ci-dessous un aperçu. Un simple clic vous permettra d'agrandir l'image.



mercredi 14 novembre 2007

4. Relecture critique de la vraie nature du droit de la concurrence

Nous abordons aujourd'hui le cœur de l’objectif de ces articles. Pour trouver un moyen de concilier le droit d’auteur avec le droit de la concurrence, il nous semble indispensable de clarifier préalablement la vision que l’on a de l’un et de l’autre droit. Nous proposons une vision des choses qui prend parti :
- le droit de la concurrence a pour objectif de procéder à une allocation optimale des ressources ;
- le droit d’auteur est un droit multiple.

Dans cet article, nous expliciterons l’idée selon laquelle le droit de la concurrence a pour objectif de procéder à une réallocation des droits en faveur de ceux qui maximiserons leur rentabilité économique. Certains auteurs considèrent le droit comme une construction intellectuelle abstraite. A ce titre, il n’est pas une science du réel comme peut l’être la physique. Par conséquent, le processus de création du droit est toujours le même. D’abord on pose des notions suffisamment abstraites pour survivre aux évolutions de la politique (comme les notions de biens, de personne, d’obligations …). La traduction en droit des évolutions sociales et politiques se fait ensuite fait par l’élaboration de législations spécifiques.

Le droit de la concurrence n’entre pas dans ce schéma, c’est un droit particulier. Il présente deux caractères : il est un droit de régulation et, à notre sens, un droit téléologique.

Notre droit est basé sur le modèle de la réglementation : les normes sont dictées de l’extérieur. Ce modèle a ses faiblesses, notamment le risque que la solution décrétée pour résoudre un problème soit trop tardive et inadéquate. La mode est aujourd’hui de préférer la régulation, plus flexible. En mécanique, la régulation désigne « l’ajustement spontané d’une machine aux objectifs qui lui sont assignés ». Mais si on ajuste une machine, c’est pour qu’elle remplisse mieux les fonctions qu’on lui a allouées. Il faut donc avoir énoncé clairement les objectifs avant de déléguer le traitement des difficultés à des autorités de régulation. On a pu croire que la science des experts qui siègent dans les autorités de régulation permettrait de « faire l’économie des disputes politiques ou des conflits d’intérêts, et de transcender en quelque sorte la vieille opposition de l’Etat et du Marché. L’harmonie par le calcul pourrait ainsi se substituer à l’arbitraire des lois » . La préférence pour la régulation masque en fait une forme démission des autorités publiques face à leur mission d’assigner des objectifs clairs, des directions réfléchies.

L’objectif affiché du droit de la concurrence est de promouvoir l’intérêt du consommateur. Cette vision des choses nous semble simpliste. Si l’on accepte cet objectif tel quel, on peut en effet considérer que le droit de la concurrence et le droit d’auteur poursuivent la même finalité : « par principe, le droit de la concurrence ne s’oppose pas au droit de la propriété littéraire et artistique » car « l’application du droit de la concurrence (…) peut (…) d’ailleurs jouer un rôle prépondérant et nécessaire en faveur du pluralisme et de la diversité culturelle, en veillant notamment à l’intérêt des consommateurs » (Rapport au CSPLA précité, n°12). Selon nous, tous les droits sont conçus pour promouvoir l’intérêt collectif. Si ce simple constat suffisait à écarter toutes les sources de conflit, les trois-quarts des juristes n’auraient plus de travail.

Toutes les relations marchandes, et par conséquent la plupart des relations sociales, ne peuvent se réduire à cette simple dichotomie : l’opérateur de marché d’un côté et le consommateur de l’autre. Sans entrer dans la dénonciation de l’artificialité de la notion de consommateur (beaucoup de manuels de sociologie montrent que les relations sociales ne se fondent pas sur la recherche de la maximisation du profit mais tout au contraire sur le don et l’engagement de l’individu), nous soutenons l’idée que ce n’est pas là le véritable but du droit de la concurrence.

Les articles 81 et 82 sont historiquement une suite logique de l’objectif de libre circulation des marchandises qui lui-même a un but politique : la constitution d’un marché commun. Depuis longtemps, on a soutenu que l’action du droit communautaire de la concurrence était avant tout téléologique. La CJCE l’a rappelé dans l’un des premiers arrêts relatifs au droit d’auteur et au droit de la concurrence, l’arrêt Deutsche-Grammophon : « L’exercice d’un droit de propriété industrielle tombe sous la prohibition du traité chaque fois qu’il apparaît comme étant l’objet, le moyen ou la conséquence d’une entente, qui (…) a pour effet de cloisonner le marché », car le Traité a comme « but essentiel », la fusion des marchés nationaux en un marché unique.

La concurrence n’est donc pas la fin mais le moyen de la politique communautaire. Rappelons que l’article 2 du traité CE vise d’abord le développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, et une croissance durable et non inflationniste. La compétitivité ne vient qu’après (c’est d’ailleurs pour cela que le débat sur la Constitution européenne s’est cristallisé sur la modification de l’ordre d’importance de ces objectifs). Ces hésitations quant au rôle du droit de la concurrence sont exprimées par les spécialistes de la matière. Ainsi, pour C. Lucas de Leyssac, moins que la « concurrence » en elle même, le droit de la concurrence a pour objectif de mettre en place une « compétition » entre les acteurs .

Partant, une vision critique du droit de la concurrence nous amène à constater qu’il s’agit en fait d’une compétence de politique économique dont les autorités publiques nationales se sont déchargées au profit des autorités de régulation de la concurrence. Si l’on observe la façon dont ces autorités se servent de ce pouvoir, il nous semble que leur action s’inscrit dans un cadre idéologique : celui de l’analyse économique du droit. Ce courant s’est mis en place aux Etats-Unis dans les années 60 à l’université de Chicago à l’initiative d’économistes comme R. Posner, Downes, Dany Becker et Ronald Coase. Ces auteurs ont une approche utilitariste du droit : la fonction du droit est d’améliorer les interactions entre les individus. C’est une approche qui se veut scientifique, donc neutre et non philosophique. R. Coase a fait une analyse de la Common Law en ce sens. Il montre que la Common Law s’est construite presque exclusivement en fonction de l’efficacité économique. D’où son théorème : la distribution initiale des droits importe peu puisque le marché opère une réallocation en faveur de ceux qui maximiserons la possession de ces droits.

Selon nous, le droit de la concurrence est appliqué dans cette optique. Si le vrai but était la seule poursuite de la maximisation de l’intérêt du consommateur, cela condamnerait l’efficacité économique des bien des entreprises et créerait une nuisance sociale importante. Dans un domaine autre que celui de l’abus de position dominante, on prend en compte l’opportunité la notion de « progrès », et indirectement l’intérêt général, grâce à l’article 81 paragraphe 3 du Traité CE relatif aux ententes. Mais pour les abus de position dominante, tels que le refus de vente, aucun moyen légal similaire n’existe. Pourtant, la jurisprudence de la CJCE et du Conseil de la concurrence comporte de nombreux exemples où l’autorité de régulation prend des libertés avec les concepts de droit de la concurrence au nom du bon sens. Aux Etats-Unis, cette démarche s’appelle « Rule of Reason ». Elle n’est pas officiellement acceptée par les autorités de concurrence européennes qui continuent de maintenir l’idée que le droit de la concurrence est un corpus de règles cohérentes.

Mais on doit admettre qu'elle est en germe dans le droit communautaire. Dans l’avenir, l’article 82 devra être réformé. Un rapport de l’EAGCP, sorti en juillet 2005 et intitulé « An economic approach of Article 82 » note les faiblesses du système actuel et fait des propositions de réformes. Or, en substance, il s’agit de constater que, telles qu’elles sont prévues (et selon nous, heureusement pas appliquées), les règles de l’abus de position dominante peuvent être un frein au développement de l’innovation, et donc au profit du consommateur à terme. On note que selon les auteurs de ce rapport, « an economics-based approach will naturally lend itself to a « rule of reason » approach (…) ». Selon nous cette approche est déjà de mise, même implicitement dans certaines décisions, en particulier en ce qui concerne le droit d’auteur.

Par exemple, dans la décision rendue par le TPICE le 17 septembre 2007 et relative à l’affaire « Microsoft », le tribunal relève que la Commission a pris en compte l’impact négatif que pourrait avoir l’obligation faite à Microsoft de donner des licences sur ses spécifications d’interopérabilité (point n° 680). L. Idot avait mis en lumière qu’il s’agissait, d’une application de la Rule of Reason par la Commission (point n°783 de la décision de la Commission du 24 mars 2004). Certains passages de la décision de la Commission sont d’ailleurs tout à fait « coasiens » : « Article 82 must be read in the light of its underlying objective which is to ensure that competition in the internal market is not distorted (…) To maintain competitive markets so that innovations succeed or fail on the merits is an important objective of Community competition policy » (point n°978). Dans un avis du Conseil de la concurrence relatif à la commercialisation des droits sportifs (avis n° 07-A-07 du 25 juillet 2007), certains raisonnements nous paraissent aussi « coasiens ». La loi organise un monopole de la commercialisation des droits sur les rencontres sportives au profit des ligues professionnelles, à charge de répartir les gains de façon solidaire entre les clubs. Cette organisation parfaitement anticoncurrentielle (à l’étranger, les droits appartiennent aux clubs) est justifiée, aux yeux du Conseil par la nécessité de tirer le « meilleur rendement » des droits et d’assurer le « financement des clubs français » auxquels elle donne les moyens d’affronter plus efficacement la concurrence des autres clubs européens.

L’application du théorème au droit de la concurrence permet ainsi d’expliquer, selon nous, l’inconstance des décisions en la matière. Mais, en vertu de ce théorème, le droit d’auteur ne peut être considéré que comme un droit à rémunération. Il ne saurait être toléré un droit moral permettant de s’opposer discrétionnairement à la cession d'une licence. Si la répartition initiale du droit repose sur le principe qu’il appartient à celui qui a créé une œuvre originale, l’auteur n’a aucune place particulière : il doit être amené à céder son droit à l’opérateur qui l’exploitera mieux que lui. Il aura droit à une compensation mais pas à un contrôle sur l’œuvre.

Les autorités de la concurrence sont naturellement amenées à allouer le droit à l’opérateur qui semble capable de l’exploiter avec la meilleure productivité, afin de faire bénéficier la collectivité d’un coût moindre ou d’une prestation de meilleure qualité. C'est pourquoi nous affirmons qu’elles poursuivent un objectif « coasien ». Dans ces conditions, un droit moral exclusif et arbitraire devient un coût de transaction qui nuit à la société. Au final, ce n’est que dans la mesure où la législation du droit d’auteur ne parvient pas à procéder à une circulation des droits vers les opérateurs qui en assureront une exploitation optimale que le droit de la concurrence viendra contraindre l’usage de ce droit.

Romain Hazebroucq

lundi 12 novembre 2007

3. Bloquer le raisonnement concurrentiel au stade de la qualification du « marché pertinent » : une fausse piste ?

Le refus de vente peut constituer un « abus de position dominante » et être sanctionné sur le fondement de l’article 82 du traité CE (et de l’article L420-2 du Code de commerce). Mais pour savoir si le droit de la concurrence est applicable, plusieurs qualifications préalables sont nécessaires : (i) le comportement doit émaner d’une « entreprise » et (ii) cette entreprise doit être en « position dominante » sur le « marché pertinent ».

On a pu soutenir que ces notions n’étaient pas transposables aux titulaires de droits d’auteur. La Commission sur la Propriété Littéraire et Artistique et le Droit de la Concurrence (« CSPLAC »), dans son rapport « Propriété Littéraire et Artistique et Droit de la Concurrence » daté de 2004 considère ainsi que les concepts qu’utilise le droit de la concurrence sont inadéquats relativement à l’usage que font les auteurs de leurs droits de propriété intellectuelle (voir point n° 33). Cependant, nous voulons montrer dans cet article que même si, s’agissant de biens culturels, on trouve des illustrations de cette opinion, cela ne suffirait pas à empêcher une intrusion du droit de la concurrence dans le secteur de l’industrie culturelle.

La question de savoir si un auteur (un artiste) peut être qualifié d’entreprise ne pose pas de difficulté théorique. La notion d’entreprise en droit de la concurrence est excessivement large. On peut crier que « l’art n’est pas une marchandise ». Il n’en demeure que dès l’instant où le titulaire du droit d’auteur obtient une rémunération en contrepartie de l’objet intégrant le droit ou en contrepartie de la cession d’une licence, il est un sujet de droit pour le droit de la concurrence.

Beaucoup plus complexe est la question de l’application de la notion de « marché pertinent », au titulaire du droit d’auteur et à l’œuvre. Or cette qualification est en principe nécessaire, car il faut que l’auteur de l’abus soit en « position dominante » sur un marché précisément délimité avant d’être susceptible d’en abuser.

D’après la définition de la Commission européenne, un marché pertinent comprend « tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques ». le terme « substituable » est primordial, il a donné naissance au test de substituabilité : par exemple, si le prix du ketchup augmente de façon importante, le consommateur se rabattra sur la sauce tomate, on en tire alors la conséquence que ces deux produits satisfont le même besoin et appartiennent au même marché.

Le critère de la substituabilité semble toutefois très difficile à appliquer en matière de droits d’auteur car le lien entre le prix et l’utilité d’un bien culturel est trop subjectif pour pouvoir être synthétisé et systématisé. Si le prix du DVD « Da Vinci Code » augmente, la demande se reportera-t-elle sur le DVD d’ « Harry Potter » ? Qui peut avoir la prétention de décrypter les mécanismes qui opèrent chez le consommateur, lequel, en tant qu’opérateur économique, est censé chercher à maximiser son « utilité » en minimisant le « coût » ? La prudence commanderait ceci : chaque œuvre d’art étant unique par nature, elle serait un marché en soi. Ce morcellement interdirait toutefois toute analyse concurrentielle lisible. D’ailleurs, on sait depuis l’arrêt de la CJCE « Michelin » de 1983 qu’un droit de propriété intellectuelle ne confère pas automatiquement une position dominante à son titulaire

La difficulté de déterminer le marché pertinent n’est pas propre au marché des biens culturels car le critère de la substituabilité fait sens surtout lorsqu’il s’agit de marchés de biens matériels. Ainsi, à propos de l’enseignement à distance (privé et public) on s’est posé les questions suivantes : chaque matière proposée est-elle un marché à part ? Est-ce que la hausse des prix sur les cours de Latin induit un déplacement de la demande sur les cours de Grec ? Pour certains consommateurs, ce qui prime, c’est plus le diplôme qui se trouve à la clef que les matières enseignées, pour d’autres, ce sera une vocation, d’autres encore feront du prix le critère déterminant … Dans une décision de 2005 à propos du CNED (n° 05-D-68), le Conseil de la concurrence a retenu une analyse des marchés reposant sur les types de tarifications (tarifs subventionnés ou non) ce qui correspond à s’éloigner considérablement du test de la substituabilité, et donc de la définition officielle du marché pertinent.

En matière de biens culturels, chaque œuvre repose sur un paradoxe : elle crée sa demande et en même temps se conforme à des « attentes ». L’économiste L. Créton a relevé que la création cinématographique repose sur une « dialectique standartisation-différenciation » ( « Economie du cinéma, perspectives stratégiques », Nathan, 3ème édition, 2003, p41). On dit aussi qu’il s’agit d’une « industrie de prototypes », c'est-à-dire que le succès d’un film résulte souvent de la transgression des cadres de référence. Il crée une attente nouvelle, une mode, dont vont tenter de tirer parti les productions suivantes, jusqu'à ce que la continuité épuise l’attente des spectateurs, et qu’une nouvelle œuvre « impertinente » voie le jour, recommençant un nouveau cycle.

Plus généralement, les économistes considèrent que la consommation de biens culturels a un effet « d’expérience » (plus on consomme un bien, plus le goût pour celui-ci se développe) et un effet «d’externalité » (l’augmentation de la consommation d’un bien par certains consommateurs attise l’envie de le consommer pour les autres). D’où un dysfonctionnement potentiel des marchés.

Ainsi, le secteur de la création des « biens culturels » résisterait à la segmentation en marchés pertinents contrairement aux « biens informationnels » qui, eux, s’inscriraient dans un processus industriel et une logique offre-demande plus lisible. Parce que les conditions d’application du droit de la concurrence ne seraient pas remplies pour les premiers, le droit d’auteur appliqué aux biens culturels serait préservé du risque de qualification d’abus de position dominante.

Cette lecture, bien que commode, confortable et conciliante, ne nous semble pas suffisante. La nécessité de déterminer le marché pertinent, préalablement à tout raisonnement concurrentiel, est remise en question au sein même de la doctrine du droit de la concurrence. Surtout, les autorités de concurrence ne se laissent pas stopper à ce stade et passent par le biais d’autres qualifications.

Prenons comme illustration la création cinématographique. Plutôt qu’une analyse en termes de produits (d’œuvres), les autorités de concurrence se sont accommodées de ne saisir que la seule « distribution » des œuvres cinématographique. Assez tôt, plutôt que de parler directement de marché, le Conseil de la concurrence a préféré constaté l’existence d’une « filière » : « les politiques tarifaires des exploitants de salles, du fait qu’elles peuvent moduler le prix des places de cinéma qui constitue l’assiette de calcul des droits, ont des incidences sur les remontées de recettes dont bénéficieront les distributeurs et par voie de conséquence, les producteurs. Il existe donc une solidarité entre les différents acteurs de la filière cinématographique » (décision n°04-D-10 relative à la Carte « UGC illimitée »).
Cette filière est ensuite divisée en trois marchés : la production, la distribution et l’exploitation des œuvres (avis n°93-A-12). Ainsi, en ne s’intéressant qu’aux supports (exploitation des salles, DVD, vidéo à la demande), on évite de se poser l’épineuse question : qu’est-ce qui motive la consommation de bien culturels ?

Curieusement, dans l’avis relatif à la fusion entre TPS et Canal Satellite (avis n°06-A-13 du 13 juillet 2006), le Conseil a décidé qu’il n’était pas pertinent de distinguer les marchés en fonction des modes de diffusion (à l'exception, curieusement, de la diffusion sur téléphone mobile, voir point n°189). Le régulateur relève le défi de tenter d’appréhender la réactivité des consommateurs aux différentes offres de programmes.
S’agissant du cinéma, le Conseil, s’appuyant sur une jurisprudence de la Commission, estime qu’il existe un marché spécifique des « films américains à succès récents » qu'il met à part. Certes, il note que cette vision peut être « réductrice » (peur de recevoir des remontrances des Cahiers du Cinéma ?). En fait, la suite de l’avis montre qu’il est impossible de fonder une segmentation sur l'analyse des goûts du public. En effet, s'agissant de cette catégorie des "films américains à succès récents", le Conseil avoue en déduire l'existence du fait que le prix et les conditions de négociations des droits de diffusion pour les films américains sont particulières. Est-ce à dire que ce n'est pas parce que le film relève d'un certain genre qu'il est vendu de telle manière mais parce qu'il est vendu d'une certaine manière qu'il relève de tel genre ? Bien que chassé, le prisme de la distribution revient toujours au galop.

Cette façon de contourner les difficultés du test de la substituabilité entre difficilement dans l'orthodoxie du droit de la concurrence, mais en outre, le biais de la distribution des œuvres conduit à d'autres types de difficultés tout aussi insolubles. Ainsi, dans une décision de 2004, relative à Apple, le Conseil de la concurrence a considéré qu’en matière de « DRM », la question de savoir s’il fallait segmenter les marchés par type de contenu ou par type de matériel (baladeur, téléphone portable) ne pouvait pas tranchée car les évolutions technologiques étaient trop rapides (n°04-D-54).

Il demeure que, aussi critiquable soient-elles, les solutions de contournement adoptées par les autorités de la concurrence leur permettent de circonscrire des marchés pertinents dans le domaine des biens culturels. Les titulaires de droits d'auteur sur ces biens sont susceptibles de se retrouver en position dominante sur ces marchés et l'usage qu'ils font de leurs droits peut tout à fait constituer un abus de position dominante si la logique Magill et IMS Health leur était appliquée (voir l'article N°2). S'il on veut préserver certains usages de ce droit, au nom d'impératifs sociaux ou philosophiques que nous définirons, la solution n'est pas de se cantonner à nier l'applicabilité du droit de la concurrence à l'industrie culturelle. Mais nous avons dans l'idée qu'elle peut se dégager d'une analyse des points de friction du droit d'auteur et du droit de la concurrence. Cette analyse passe par une dissection du rôle sociétal de l'un et l'autre droit.

Dans le prochain article, nous prendrons le bistouri et c'est le droit de la concurrence qui passe en premier sur le billard.

Romain Hazebroucq

vendredi 9 novembre 2007

Petit interlude musical de fin de semaine avec Moriarty

Selon le site infoconcert, "la musique de Moriarty est un carnet de voyages et de réminiscences, un cabinet de curiosités, une sorte de folk nocturne et nomade". Nous ne pouvons que confirmer cette description et y ajouter que c'est aussi et surtout un talentueux groupe français. A vous de vous forger un avis...Bonne écoute et bon week-end à tous.


mercredi 7 novembre 2007

2. La menace « Magill » sur le droit d’auteur portant sur les biens culturels

Avec la jurisprudence « Magill » du 5 octobre 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a amorcé un virage fondamental dans sa manière de chercher à concilier le droit d’auteur et le droit de la concurrence. Désormais, l’incrimination du refus de vente peut s’appliquer à tous les usages du droit d’auteur. La question ne se limite plus qu’au fait de savoir si le refus, par un titulaire de droits d’auteur, d’accorder une licence est assimilable, et si oui dans quelle mesure, à un refus de vente. Antérieurement à ce fameux arrêt, la réponse était négative sur le plan de la théorie car on considérait que les domaines du droit d’auteur et du droit de la concurrence s’excluaient mutuellement. Le Traité CE interdit au juge communautaire de remettre en question l’existence d’une protection par le droit d’auteur sur une œuvre, celle-ci ne relève que de la législation nationale des Etats membres.

Au fil d’une jurisprudence complexe entamée dans les années 60, la CJCE s’est efforcée de soumettre progressivement au droit de la concurrence l’usage des droits d’auteur par leurs titulaires. Cela a commencé en distinguant « l’existence » du droit et son « exercice ». Puis, s’est poursuivi en discernant un « bon » exercice d’un « mauvais » : le bon exercice du droit d’auteur étant l’usage qui entrait dans ce que le juge appelait l’ « objet spécifique » du droit d’auteur et cet « objet spécifique » (difficilement défini car il passait par l’analyse de la « fonction essentielle » du droit d’auteur ce qui constitue un débat en soi) était censé être un « safe harbor » (comme on dit en droit financier quand on est chic). Cela voulait dire que tant que l’on faisait un usage de son droit (accorder ou ne pas accorder de licence) conforme à cet objet spécifique, on n’était en aucun cas inquiété par le droit de la concurrence, quand bien même les motivations de cet usage auraient été anticoncurrentielles.

Mais nous avons noté que cette notion, qui devait délimiter comme sur une carte le champ d’action du droit de la concurrence et celui du droit d’auteur (appliquant, selon nous, un arbitrage « horizontal » entre ces deux droits) s’est révélée impossible à définir. Par la technique juridique on croyait avoir dépassé le problème, on n’avait en fait que déplacé, par un jeu sémantique, les difficultés. Plus sortaient les jurisprudences censées mieux définir l’objet spécifique du droit d’auteur, plus ce sanctuaire se voyait traversé par des tunnels et attaqué de toutes parts, si bien qu’on ne savait plus quand on était hors de portée du droit de la concurrence, voire même on doutait qu’une telle éventualité existât réellement.

La conciliation horizontale était donc un échec. Toute cette théorie fondée sur une séparation hermétique entre les domaines de ces deux droits a volé en éclats. Le dernier bastion, l’objet spécifique, est tombé. Le coup de grâce est venu de l’idée que même si l’exercice, par un titulaire, de son droit d’auteur entrait dans le champ de cet objet spécifique, le droit de la concurrence pourrait toujours s’appliquer en cas de « circonstances exceptionnelles ». C’est l’expression « circonstances exceptionnelles » qui constitue la véritable révolution de la jurisprudence Magill : la Cour pose trois critères pour identifier lesdites circonstances, mais il apparaît cependant qu’avec ces critères, les circonstances ne sont plus du tout exceptionnelles, elles deviennent la règle. L’arrêt Magill instaure dans les faits une relation « verticale », c'est-à-dire hiérarchique, entre droit de la concurrence et droit d’auteur, le premier encadrant le second (au mépris de la lettre de l’article 36 du Traité CE mais passons) et définissant lui-même les cas d’exonération.

On le sait, la jurisprudence Magill n’est qu’une première étape. Dans l’arrêt « IMS Health » du 29 avril 2004, la Cour a précisé que par « circonstances exceptionnelles » elle entendait les cas où la licence constitue une « facilité essentielle ». Cette précision est la transcription d’une théorie économique née aux Etats-Unis à propos des gares de chemin de fer. Un refus de concéder une licence sur une œuvre serait vu comme un refus de donner accès à une facilité essentielle, donc comme un refus de vente, donc comme un abus de position dominante. Cette donnée n’a pas été vue comme une bonne nouvelle du côté des supporters du droit d’auteur car les critères de définition d’une facilité essentielle, appliqués à un droit de propriété intellectuelle, amènent à considérer quasiment tout droit sur une œuvre comme une facilité essentielle.

C’est l’avocat général C. Gulmann qui, dans ses conclusions dans l’arrêt Magill, a le mieux résumé les inquiétudes des titulaires de droits sur des biens culturels. Il imaginait ce que deviendrait le droit d’auteur au contact du droit de la concurrence : « ainsi pourrait il y avoir abus dans les cas suivants : un auteur de nouvelles qui s’opposerait à la publication d’une de celles-ci dans une anthologie ; un affichiste qui s’opposerait à l’utilisation dans une carte de Noël d’un dessin protégé ; le titulaire des droits d’auteur sur le personnage de dessin animé « Popeye », qui s’opposerait à l’impression de celui-ci sur un tee-shirt : les propriétaires de journaux paraissant le dimanche qui s’opposeraient à ce que ITP publie simultanément, dans TV times, leurs rubriques spécialisées ; l’auteur dramatique qui s’opposerait à ce qu’une de ses pièces fasse l’objet d’un film ; l’auteur de calendriers lunaires ou de marées, de recettes culinaires ou d’une liste d’églises romanes en Angleterre, qui s’opposerait à la reproduction de ses œuvres. »

Les autorités de la concurrence ont entendu les critiques qui s’élevaient contre l’application de la théorie des facilités essentielles au droit d’auteur. Ainsi, dans un avis relatif aux pratiques de l’INSEE (avis n°01-A-18 du 28 décembre 2001), le Conseil de la concurrence admettait que « le droit des facilités essentielles (…) repose sur une logique qui semble incompatible avec les choix discrétionnaires reconnus aux détenteurs de droit de propriété intellectuelle, dans le cas où la mise à disposition de la facilité suppose également la cession d’un droit de propriété intellectuelle ».

En conséquence de quoi des arrêts de la CJCE, du Conseil de la concurrence et de la Cour de cassation ont restreint le champ de cette notion. Une certaine prudence transparaît notamment dans l’arrêt précité du TPICE daté du 17 septembre 2007 et relatif à l’affaire « Microsoft ». Le Tribunal confirme en tout point l’utilisation faite par la Commission de la démarche dégagée de l’arrêt « IMS Health » mais il ressent comme le besoin d’étayer l’application des critères traditionnels par d’autres constatations qui traduisent une véritable malveillance de la part de l’opérateur. Ainsi, outre le fait bien sûr que Microsoft refusait de transmettre des données permettant à ses concurrents de développer des produits concurrents du lecteur Windows Media Player et compatibles avec le système d’exploitation Windows, le Tribunal relève que la firme n’avait pas toujours agi ainsi. Ceci constituait une « rupture dans le mode de distribution » et trahissait la démarche prédatrice de Microsoft. Ce point est relevé en marge du raisonnement juridique, ce qui n’indique pas encore à notre sens un infléchissement de la jurisprudence IMS Health, mais signal que le juge communautaire est mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’appliquer rigoureusement la théorie des facilités essentielles à un droit d’auteur.

Il demeure qu’en l’état de la jurisprudence, rien ne permet de garantir que les biens culturels sont préservés de l’intrusion du droit de la concurrence, et de la qualification de refus de vente. Nous n’avons que l’assurance de la part des autorités de la concurrence que « cette jurisprudence concerne surtout des biens informationnels qui connaissent une extension considérable de leur champ de protection légale » (Rapport d’activité du Conseil de la concurrence pour l’année 2004).

On ne saurait se satisfaire de cette maigre assurance pour deux raisons. D’une part, cela voudrait dire que l’on sait faire la différence entre les biens informationnels et les biens culturels. Or cette distinction, et derrière, celle de la distinction entre les « œuvres-produits » et les « œuvres d’art » est une impasse philosophique, économique, politique et, a fortiori, juridique. D’autre part, il demeure qu’aucun rempart juridique ne garantit que le pas ne sera pas franchi.

La question de savoir si l’industrie culturelle fait intégralement partie de l’économie ou doit faire l’objet d’un traitement spécial constitue un point de friction au niveau international (on en veut pour illustration les difficiles négociations des accords ADPIC au niveau de l’OMC). Dans ces conditions, il est illusoire d’attendre des autorités de la concurrence qu’elles trouvent à court terme le moyen de brider la jurisprudence Magill et ses suites pour épargner les biens culturels. Nous proposons donc de prendre les devants.

Le prochain article finira de démontrer l’existence d’un risque réel pour les biens culturels en appliquant au droit d’auteur les critères d’application de l’abus de position dominante.

Romain Hazebroucq

lundi 5 novembre 2007

Revue de droit de la concurrence : Le droit d’auteur, le refus de vente et l’abus de position dominante


Précisions Tracklaws sur l'auteur
:

Romain Hazebroucq est juriste en droit des affaires au cabinet d’avocats Kahn et Associés et chargé d’enseignement à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Il a obtenu le Master 2 Recherche « Droit des affaires et de l’économie » de l’université Paris 1 en 2006 et effectué son mémoire sous la direction de Pierre Sirinelli. Il est en outre diplômé du Magistère de Droit des Activités Economiques de Paris 1.

Il a été cofondateur en 2003 et codirecteur de la publication du journal Undix Juridique, journal juridique gratuit développé en partenariat avec Paris X et dont les articles sont écrits par les étudiants de ces deux universités.

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1 - Introduction : de l’huile sur le feu

Le 17 septembre dernier, le TPICE a validé la position de la Commission qui avait condamné, le 4 mars 2004, Microsoft et l’usage que cette firme faisait de ses droits de propriété intellectuelle pour abus de position dominante. Dans le feuilleton (qui dure depuis cinquante ans) des relations conflictuelles entre le droit d’auteur et le droit de la concurrence, cette décision n’est pas un coup de théâtre, bien au contraire, mais elle permet de conforter le tournant pris avec l’arrêt « Magill ». A cette occasion, le propriétaire de ces murs virtuels, à qui nous devons l’opportunité de publier cette série d’articles, a relevé les propos de Mario Monti, Président de la Commission à l’époque de sa décision, pour qui le droit de la concurrence permettait au final de préserver les intérêts du consommateur et l’innovation.

Cette idée rend compte de l’aboutissement de la réflexion sur la compatibilité entre le droit d’auteur et le droit de la concurrence. Elle s’accorde sur le leitmotiv de la doctrine qui prône la conciliation : « de fait, dans une vision simpliste, ces deux corpus juridiques tendent à s’opposer, les droits de propriété intellectuelle conférant à leur titulaire un monopole d’exploitation pouvant être contraire au droit de la concurrence. En principe, les deux domaines du droit que sont celui de la concurrence et celui de la propriété intellectuelle devraient pourtant converger, puisqu’ils ont en commun de contribuer à l’amélioration du bien être collectif » (P. Sirinelli et C. Crampes, Colloque du 2 mai 2006 « peer to peer : droit d’auteur et droit de la concurrence » Revue Lamy du droit de la concurrence mai-juin 2006, n°810, p175). La vérité serait donc que le droit d’auteur et le droit de la concurrence, au fond, visent le même objectif, parfois désigné comme l’intérêt collectif ou l’intérêt du consommateur (ces deux termes seraient donc synonymes ?).

Nous considérons pour notre part que cette conclusion est insatisfaisante. Elle conduit à penser que l’on a éteint le conflit. A notre sens, ce n’est pas le rôle du droit d’éteindre les conflits, mais de les organiser et d’en canaliser la fureur. La soumission des droits de propriété intellectuelle au droit de la concurrence induit un choc frontal entre deux logiques. D’un côté, le droit communautaire s’organise en deux strates : la libre circulation des marchandises qui permet d’instaurer une concurrence à l’échelle communautaire et la répression des ententes et des abus de position dominante qui organise cette concurrence et vise à multiplier les opérateurs offrant un même produit. De l’autre côté, le droit d’auteur s’articule autour de deux principes diamétralement opposés : la territorialité et l’exclusivité.

S’il ne s’agissait que du droit de la concurrence, au niveau microéconomique (celui des choix d’un opérateur individuel) on peut comprendre aisément la contradiction suivante : la concurrence conditionne l’existence du profit puisqu’elle permet à l’entreprise de développer ses activités, mais elle en limite le niveau par la suite. Tout moyen de se soustraire à cette concurrence est assimilé à un moyen de maximiser le profit à long terme et acquiert de ce fait de la valeur. Le droit fiscal va même jusqu’à considérer qu’un accord de non concurrence entre deux firmes constitue une immobilisation, donc un actif, dès lors qu’il permettait le gain de parts de marché et non la simple conservation d’une clientèle.

En comptabilité, les droits de propriété incorporelle figurent, dans le bilan d’une entreprise, dans la section des immobilisations incorporelles. Brevets, droit d’auteur mais aussi marques constituent la valeur comptable d’une entreprise au même titre que des immeubles, des moyens de production et autres biens matériels, du seul fait qu’ils ont un effet anticoncurrentiel. Dans l’arrêt « SIFE » du 11 août 1996, le Conseil d’Etat a considéré qu’un droit de propriété intellectuel était une immobilisation incorporelle à condition qu’il soit un « droit pérenne, source de revenu et cessible ». Ce qui rappelle la formule d’un arrêt de la Chambre civile du 25 juillet 1887 qui précise que le monopole accordé au créateur, puis à ses ayants droit, consiste dans « un privilège exclusif d’une exploitation commerciale temporaire ». Ce qui permet d’affirmer que ce droit exclusif se traduit systématiquement en un monopole d’exploitation. Le monopole induit un « surprofit » qui en fait tout l’intérêt et toute la valeur. Or, originellement, c’est en dénonciation de cette « rente » que le droit de la concurrence a vu le jour aux Etats-Unis.

Pour autant, la conciliation du droit de la concurrence avec le droit des brevets ou celui des marques ne pose pas de problème équivalent à ceux qu’entraîne la mise au pas du droit d’auteur au nom de la répression des pratiques anticoncurrentielles. Les législations nationales concernant la propriété industrielle ont été rédigées en intégrant à la base une logique économique. L’intrusion du droit de la concurrence a peut-être altéré cette logique, mais elle n’en a pas remis en cause la nature. Or en matière de propriété littéraire et artistique, le droit moral est un étendard sous lequel se range le romantisme contre la logique économique, l’exception française contre la mondialisation, la culture contre la marchandisation … C’est une controverse dont on ne peut faire l’économie, qui secoue les fondements du droit d’auteur et pose la question du rapport de l’individu à l’art, du rapport de la société à la culture.

Certes, le débat s’est peut-être fourvoyé tant ces données incitent les auteurs à prendre des partis pris radicaux. Cette dérive provient certainement des oppositions internes au camp du droit d’auteur et qui concernent notamment la consistance réelle du droit moral de l’auteur (droit personnel subjectif ou objectif ?). Cependant, il ne faut pas oublier que le droit de la concurrence est, à notre sens, un droit qui « se cherche » et revisite sans cesse ses fondements, pour la simple raison qu’ils proviennent de la science économique et que la pensée économique libérale (au sens économique du terme et non politique) a beaucoup évolué depuis 1957. Ce domaine nous dépasse, mais notons, pour illustrer ce fait, que le prix Nobel d’économie 2007 a été attribué aux américains Léonid Hurwicz, Erik S. Maskin et Robert B. Myerson pour leur théorie dite de « Conception des Mécanismes » (Mechanism Design Theory) qui décrit justement les interférences sociales et psychologiques qui déforment la conception classique de l’économie de marché. Or ces éléments de complexification ne sont pas encore assimilés par le droit de la concurrence, qui pourtant est la traduction juridique de la pensée économique libérale dans le droit.

Dans ces articles, nous voulons proposer une façon d’aborder cette controverse qui prenne en compte la complexité inhérente du droit d’auteur mais aussi du droit de la concurrence afin d’isoler au plus prêt possible les véritables points de friction et élaguer les faux débats. A cette fin, nous avons réduit notre champ d’examen à l’application de la notion d’abus de position dominante, et plus particulièrement à la pratique du refus de vente. En effet, l’incrimination du refus de vente pose plusieurs problèmes spécifiques quand elle est appliquée à l’utilisation que font les titulaires de droits de propriété littéraire et artistique sur les œuvres culturelles qu’ils exploitent.

Voici un échantillon de ces difficultés : le refus de vente, pour être considéré comme anticoncurrentiel, doit traduire l’intention d’exclure un concurrent du marché. Or, aussi bien en Europe qu’aux US, le problème se pose de trouver un test unique permettant de démontrer qu’un refus de vente procède d’une telle intention. Le « test du sacrifice du profit à court terme » a pour défaut d’aboutir à sanctionner les actes de recherche et développement ainsi que les dépenses de publicité. L’économiste R. Posner propose le « test de l’exclusion d’un concurrent autant voir plus efficace » mais comment évaluer l’efficacité potentielle d’un concurrent ? En matière de droit d’auteur, comment évaluer sa créativité potentielle ? (pour plus de détails sur cette question : François Lévêque « Quel test de preuve pour l’article 82 ? », Revue Lamy de la concurrence, n°11, avril/juin 2007, n°805)

Dans un premier temps, nous partirons de la jurisprudence actuelle pour examiner de quelle façon celle-ci peut permettre de trancher les conflits entre le droit d’auteur et l’abus de position dominante. Le programme sera le suivant :

2 - La menace « Magill » sur le droit d’auteur portant sur les biens culturels.
3 - Bloquer le raisonnement concurrentiel au stade de la qualification du « marché pertinent » : une fausse piste ?
4 - Relecture critique de la vraie nature du droit de la concurrence.
5 - Relecture critique du droit d’auteur : la déconstruction du droit d’auteur.
6 - Le talon d’Achille du droit de la concurrence : la notion de « justification objective ».

Dans un second temps, nous essaierons d’appliquer les méthodes dégagées au droit d’auteur tel que considéré dans sa diversité :

7 - Bases de données et logiciels.
8 - Œuvres littéraires et théâtrales.
9 - Audiovisuel et musique.

Le prochain article dressera donc un constat de la situation initiée par la jurisprudence récente.

Romain Hazebroucq

vendredi 26 octobre 2007

Revue de presse de fin de semaine

Emploi du temps chargé en cette fin de semaine...le temps limité ne nous permettant pas de rédiger un article de fond, nous vous proposons une revue de presse des articles intéressants du Net.

1. Sortie commerciale aujourd'hui du nouveau système d'exploitation de Macintosh nommé "Leopard" (Le Monde) ;

2. "Piratage : les médias exigent que l'Etat agisse" (Le Figaro) ;

3. Microsoft double Google et Yahoo et s'allie à Facebook (L'Expansion) ;

4. "Droits musicaux : comment calculer la réparation du préjudice ?" (Legalbiznext) - cet article date du 10 octobre mais nous vous le signalons car il est particulièrement intéressant.

Bonne lecture et bon week-end à tous.

mercredi 24 octobre 2007

Droit de la concurrence : 1 - Microsoft : 0 !

Bill Gates aurait du se méfier de la "vieille Europe" ! Au lendemain de l'annonce par Microsoft de son choix de ne pas interjeter appel de l'arrêt rendu par le Tribunal de première instance des communautés européennes (TPICE) le 17 septembre 2007 et de se plier aux exigences de la Commission européenne, il est temps de faire le point sur un feuilleton judiciaire qui a débuté il y a presque dix ans.

Pour mémoire, avant de rentrer dans les détails de la procédure communautaire, il convient de rappeler que Microsoft a également fait l'objet de poursuites aux Etats-Unis pour violation des lois antitrust américaines. En 1998, sur la base du Sherman Act, les Etats-Unis d'Amérique, 20 Etats fédérés et le District de Columbia ont engagé une action en justice contre le géant informatique. Leurs plaintes concernaient les mesures prises par Microsoft à l'encontre du navigateur internet de Netscape ("Netscape Navigator") et des technologies "Java" de Sun. Cette procédure a mené à la conclusion d'une transaction entre la firme de Redmond, le ministère de la justice des Etats-Unis et les Attorneys General de 9 Etats fédérés. Deux types d'engagements ont été pris dans le cadre de cette transaction : en premier lieu, Microsoft a accepté d'établir les spécifications des protocoles de communication utilisés par ses systèmes d'exploitation Windows pour serveurs afin de les rendre compatibles avec les spécifications des systèmes d'exploitation Windows pour PC clients et de concéder à des tiers des licences sur lesdites spécifications à des conditions déterminées. En second lieu, Microsoft a dû permettre aux équipementiers et consommateurs finaux d'activer ou de supprimer l'accès aux logiciels médiateurs (middleware), catégorie à laquelle appartient le fameux Windows Media Player. L'objectif était de garantir aux fournisseurs de logiciels médiateurs la possibilité de développer et de distribuer des produits qui fonctionnent correctement avec Windows.

Pour ce qui est de la procédure communautaire, tout a également commencé en 1998, le 10 décembre précisément, lorsque Sun Microsystems a porté plainte pour pratiques anticoncurrentielles devant la Commission européenne, dénonçant le refus de Microsoft de lui communiquer les informations et la technologie nécessaires pour permettre l'interopérabilité de ses systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail avec le système d'exploitation Windows.

Entre 2000 et 2003, la Commission européenne a adressé trois différentes communications de griefs à la firme de Redmond, dont les arguments développés en réponse n'ont, semble-t-il, pas convaincu... Le 24 mars 2004, Microsoft a été condamné par la Commission européenne pour abus de position dominante et entrave aux lois de la concurrence sur le fondement de l'article 82 du Traité CE et a écopé d'une amende historique de 497,2 millions d'euros. Par ailleurs, Microsoft a également dû se plier à des mesures tendant à "protéger les consommateurs et l'innovation", selon les termes de Mario Monti, commissaire européen à la concurrence à l'époque.

Ces mesures prenaient la forme d'obligations diverses :

(i) divulguer, dans un délai de 120 jours à compter de la notification de la décision, les informations relatives à l'interopérabilité à toute entreprise souhaitant développer et distribuer des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail, et autoriser, à des conditions raisonnables et non discriminatoires, ces entreprises à utiliser lesdites informations ;

(ii) faire en sorte que les informations relatives à l'interopérabilité divulguées soient mises à jour dès que nécessaire et dans les meilleurs délais ;

(iii) mettre en place, dans un délai de 120 jours à compter de la notification de la décision, un mécanisme d'évaluation afin de permettre aux entreprises intéressées de s'informer de manière efficace sur l'étendue et les conditions d'utilisation des informations relatives à l'interopérabilité ;

(iv) offrir, dans un délai de 90 jours à compter de la notification de la décision, une version totalement fonctionnelle de son système d'exploitation Windows pour PC clients ne comprenant pas Windows Media Player, Microsoft conservant par ailleurs le droitt de proposer son système d'exploitation Windows pour PC clients couplé avec ledit lecteur audio et vidéo (en d'autres termes, la Commission imposait ici à Microsoft de laisser le choix aux équipementiers et aux consommateurs finaux, comme ce fut le cas aux Etats-Unis).

Nous ne reviendrons pas ici sur la procédure qui a mené jusqu'à l'arrêt rendu le 17 septembre dernier (qui a confirmé dans sa quasi-totalité la décision rendue trois ans auparavant par la Commission européenne), ni sur les arguments développés par le Tribunal, dont vous pourrez prendre connaissance dans la future "saga" consacrée à la confrontation entre le droit d'auteur et le droit de la concurrence, qui commencera dès la semaine prochaine sur Tracklaws, sous la direction de Romain Hazebroucq. Tout au plus, rappellerons nous que la Commission avait prononcé en juillet 2006 des astreintes journalières d'un montant cumulé de 280,5 millions d'euros et menacé la firme américaine d'amendes supplémentaires si elle continuait à vouloir se soustraire à la décision de la Commission (le Président du TPICE ayant refusé, le 22 novembre 2004, de faire droit à la demande de Microsoft visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ladite décision).

Nous allons donc aujourd'hui nous contenter de dresser un bilan des conséquences pratiques de la renonciation de Microsoft à exercer son droit d'appel contre l'arrêt rendu par le TPICE le 17 septembre dernier :

1. Les sociétés concurrentes désirant accéder à des informations sur le système d'exploitation Windows afin de développer des logiciels pour serveurs compatibles ne devront plus payer qu'un montant unique de 10.000 euros.

2. Les droits pour l'utilisation des brevets au niveau mondial sont passés de 5,95% du montant des ventes à 0,4% ;

3. Les éditeurs de logiciels libres ont désormais un droit d'accès à la documentation technique afin de leur permettre de développer des applications interopérables ;

4. Les équipementiers et les consommateurs finaux auront désormais le choix entre le système d'exploitation Windows couplé au lecteur Windows Media Player ou le même système sans ledit lecteur.

Microsoft a donc cédé face à la Commission européenne comme il avait transigé aux Etats-Unis. Selon Neelie Kroes, l'actuelle commissaire européenne à la concurrence, "c'est une victoire pour le consommateur...pas pour la Commission". C'est tout de même une victoire pour la Commission européenne, dont la décision a été confirmée par le TPICE mais il est évident que les consommateurs, tout comme les fournisseurs de logiciels, sont les grands gagnants dans cette affaire. Cependant, le feuilleton judiciaire n'est pas encore tout à fait clos : la Commission souhaite prendre une décision dans les meilleurs délais quant aux amendes journalières (d'un montant de 280,5 millions d'euros...) infligées au géant informatique en juillet 2006 pour avoir tardé à mettre en oeuvre les mesures décidées en mars 2004. Dans son ouvrage intitulé "Le Royaume détraqué" publié en 1970, l'écrivain Jacques Lamarche écrivait : "On n'est jamais plus faible qu'au lendemain d'une victoire durement acquise, on est prêt à céder sur tous les points lorsqu'on a gagné ce qui nous semblait important". La Commission va-t-elle lui donner raison et faire preuve d'indulgence en tenant compte de la nouvelle position du groupe américain ou, au contraire, ne céder sur rien ? Nous le saurons très bientôt...et Tracklaws ne manquera pas de vous tenir au courant !

lundi 22 octobre 2007

Adoption du projet de loi sur la contrefaçon par le Sénat

Le retard serait-il une composante inhérente à l'exercice de transposition en droit français d'une directive communautaire ? La directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information avait atteint des sommets, transposée avec quasiment 4 ans de retard par la loi du 1er août 2006... La transposition de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, si elle a été opérée dans de meilleurs délais, n'a pas pour autant fait exception à la règle. La date limite de transposition était fixée au 29 avril 2006. Présenté en Conseil des ministres le 7 février 2007, le projet de loi de transposition avait été adopté en première lecture par le Sénat le 19 septembre 2007, puis modifié en première lecture par l'Assemblée nationale le 2 octobre 2007. Le texte définitif de ce projet de loi a finalement été adopté par le Sénat, en deuxième lecture et sans modification, le 17 octobre 2007.

De manière générale, l'esprit de la directive du 29 avril 2004 était d'harmoniser les sanctions en matière de contrefaçon et, plus particulièrement, de lutter contre l'exploitation lucrative de la contrefaçon en bande organisée, celle-ci présentant les risques les plus graves pour les ayants droit. C'est pourquoi le texte communautaire, dans son quatorzième considérant, prévoyait que les mesures les plus contraignantes ne devaient s'appliquer "qu'à des actes perpétrés à l'échelle commerciale", définis comme ceux "qui sont perpétrés en vue d'obtenir un avantage économique ou commercial direct ou indirect, ce qui exclut normalement les actes qui sont perpétrés par des consommateurs finaux agissant de bonne foi". Le même considérant prévoyait cependant la possibilité pour les Etats membres d'appliquer ces mesures à d'autres actes. Le législateur français s'est engouffré dans cette brèche et le projet de loi, tel qu'adopté par le Sénat il y a quelques jours, ne comprend aucune référence à "l'échelle commerciale", contrairement à ce qui avait été déclaré en premier lieu par Janelly Fourtou, rapporteur du texte.

Le champ d'application de la directive (et partant, de la loi de transposition) est large, l'objectif étant de couvrir l'ensemble des branches du droit de la propriété intellectuelle, et notamment la propriété industrielle (dessins et modèles, brevets, semi-conducteurs, marques, obtentions végétales...). Il convient cependant de préciser que notre analyse se limitera ici aux dispositions concernant le droit de la propriété littéraire et artistique. Quels sont alors les principaux apports de la nouvelle loi dans ce domaine ?

1. Concernant les sanctions civiles : nouveaux articles L. 331-1-1 à L. 331-1-4 du Code de propriété intellectuelle.

- le nouvel article L. 331-1-1 prévoit la possibilité pour la juridiction qui statue sur l'action en contrefaçon, si le demandeur justifie "de circonstances de nature à compromettre le recouvrement de dommages-intérêts", d'ordonner "la saisie conservatoire des biens mobiliers et immobiliers du prétendu auteur de l'atteinte aux droits, notamment le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs, conformément au droit commun". A ce titre, il est prévu que la juridiction peut ordonner la communication ou l'accès aux documents pertinents (bancaires, financiers, comptables ou commerciaux) afin de déterminer l'assiette des biens pouvant faire l'objet d'une telle saisie.

- le nouvel article L. 331-1-2 prévoit que, si une telle demande lui est faite, la juridiction "peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de telles marchandises ou la fourniture de tels services".

Cette disposition est particulièrement intéressante pour les ayants droit dans la mesure où elle va permettre de remonter les filières de contrefaçon et de lutter plus efficacement contre ce phénomène en faisant peser sur le premier maillon de la chaîne à avoir été identifié une obligation de fourniture d'information (sanctionné financièrement) portant sur les autres intervenants du réseau.

- le nouvel article L. 331-1-3, certainement le plus intéressant, concerne la fixation des dommages-intérêts. Il prévoit tout d'abord que pour fixer les dommages-intérêts, "la juridiction prend en compte les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte". Cette première partie de l'article L. 331-1-3 a le mérite de graver dans le marbre du Code des règles destinées à aider les juges dans l'appréciation du préjudice résultant d'actes contrefaisants là ou rien n'était précisé par la loi auparavant.

Mais toute la nouveauté réside dans la deuxième partie de l'article L331-1-3 qui précise que la juridiction peut "à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte".

Allouer une somme forfaitaire à titre de dommages-intérêts ?! Se dirige-t-on vers une conception de "dommages-intérêts sanction" ou "dommages-intérêts punitifs" au détriment de la tradition française de réparation stricte du préjudice ? Par ailleurs, la référence à une somme forfaitaire "qui ne peut être inférieure à..." est-il le signe d'une extension de la notion de peine plancher à des actes de contrefaçon ? Des questions restent en suspend et il faudra attendre de prendre connaissance des premières décisions rendues sur la base de ces nouvelles dispositions afin de se faire un avis mais on doit d'ores et déjà admettre une chose : le texte de l'article L. 331-1-3 semble ouvrir une nouvelle voie...

- le nouvel article L. 331-1-4 prévoit qu'en "cas de condamnation civile pour contrefaçon, atteinte à un droit voisin du droit d'auteur ou aux droits du producteur de bases de données, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits (...) et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation soient rappelés des circuits commerciaux, définitivement écartés de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée". Le tout bien évidemment "aux frais de l'auteur de l'atteinte aux droits". Le même article prévoit également la possibilité pour le juge d'ordonner "toute mesure appropriée de publicité du jugement".

Enfin, la nouvelle loi permet aux organisations professionnelles d'enquêter sur les infractions (principalement les infractions au droit d'auteur - on pense ici au peer to peer...), de récolter des preuves et d'ester en justice au nom de leurs membres, sous réserve de les avoir préalablement prévenus. Comme le note l'auteur de l'article consacré à ce sujet sur ratiatum, cette faculté laissée aux organisations professionnelles est "une manière de préparer le terrain à la riposte graduée"...

2. Concernant la saisie-contrefaçon : on constate un renforcement des mesures autorisées dans le cadre d'une saisie-contrefaçon et un réaménagement des délais pour exercer une action au fond suite à une saisie-contrefaçon ou demander la mainlevée d'une telle saisie.

Jusqu'à présent, l'article L.332-1 du Code de la propriété intellectuelle autorisait le président du tribunal de grande instance à ordonner (i) la suspension de toute fabrication en cours (tendant à la reproduction illicite d'une oeuvre), (ii) la saisie des exemplaires contrefaisants déjà fabriqués, (iii) la saisie des recettes provenant de toute reproduction, représentation, ou diffusion de l'oeuvre contrefaite et (iv) la suspension du contenu d'un service de communication au public en ligne portant atteinte à l'un des droits de l'auteur. La nouvelle loi a modifié cet article L. 332-1 en y prévoyant la possibilité pour le président du tribunal de grande instance d'ordonner "la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer illicitement les oeuvres, ainsi que de tout document s'y rapportant", ainsi que "la saisie réelle des oeuvres illicites ou produits soupçonnés de porter atteinte à un droit d'auteur, ou leur remise entre les mains d'un tiers afin d'empêcher leur introduction ou leur circulation entre les mains d'un tiers". Permettre la saisie des produits "soupçonnés" de porter atteinte à un droit d'auteur peut être source d'une certaine insécurité juridique et on ne peut qu'espérer que la jurisprudence viendra préciser cette disposition lacunaire de la loi en conditionnant quelque peu cette nouvelle possibilité (en exigeant par exemple qu'il existe des indices précis, graves et concordants qu'un tel produit porte atteinte à un droit d'auteur).

Par ailleurs, il était jusqu'ici prévu que le saisissant pouvait se voir ordonner la constitution, préalablement à la saisie, d'un "cautionnement convenable", ce que la nouvelle loi a modifié en visant désormais "la constitution préalable de garanties", sans donner plus de précisions. Doit-on dès lors en conclure que ces garanties ne sauraient être limitées à des garanties financières ? Si tel est le cas, quels autres types de garanties pourrait donner le saisissant ?

Pour ce qui est des délais maintenant, la nouvelle loi a remis en cause toux ceux existant (délai dans lequel le saisissant doit engager une action au fond après la saisie, délai après lequel le saisi peut demander la mainlevée de la saisie...) en se contentant de préciser que chaque nouveau délai sera "fixé par voie règlementaire". Attendons donc le décret...

3. Concernant les sanctions pénales :

- L'article L.335-6 du Code de la propriété intellectuelle est remanié et de nouvelles sanctions y sont ajoutées : (i) condamnation du contrefacteur à retirer des circuits commerciaux, à ses frais, les objets jugés contrefaisants et toute choses ayant servi à commettre l'infraction et (ii) destruction ou remise à la partie lésée, toujours aux frais du condamné, des objets et choses retirés des circuits commerciaux ou confisqués, sans préjudices de tous dommages et intérêts.

- L'article L. 335-7 est abrogé. Et l'article L.335-8 est modifié afin de faire entrer les deux nouvelles sanctions visées ci-dessus pour les personnes morales également.

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Dernière précision intéressante, la transposition de la directive européenne a été l'occasion de mettre fin à l'erreur orthographique qui polluait le Code la propriété intellectuelle depuis longtemps. Tous les mots "contrefaits" utilisés à mauvais escient ont été remplacés par les mots "contrefaisants". L'oeuvre contrefaite est l'oeuvre originale qui est copiée alors que l'oeuvre contrefaisante est l'oeuvre qui copie...le législateur semble avoir enfin compris la nuance...!

Voici en substance un premier bilan des apports (en droit d'auteur) de la nouvelle loi sur la contrefaçon. L'article étant déjà particulièrement long, nous rédigerons un billet dans les jours à venir sur les nouveautés concernant le droit des bases de données.


mardi 25 septembre 2007

Tracklaws will soon be back !

Chers lecteurs,

Comme vous avez pu le remarquer, Tracklaws s'est quelque peu fait attendre et n'a pas tenu ses engagements concernant le rythme estival annoncé début juillet. Nous vous présentons nos sincères excuses mais il est vrai que le concours du CRFPA approchant, le temps se fait rare pour écrire des articles.

Cependant, ne désespérons pas...Tracklaws will soon be back ! Bien évidemment, vous pourrez retrouver des articles traitant du droit de la musique, des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle au sens large mais aussi d'autres, plus techniques, en rapport avec le droit de la concurrence. Nous avons en effet ouvert nos pages à un nouveau rédacteur occasionnel, spécialisé dans le droit européen de la concurrence et particulièrement intéressé par les rapports plutôt houleux que ce droit entretient avec le droit d'auteur.

Les examens écrits du Barreau ayant lieu les 8, 9 et 11 octobre, nous envisageons le retour des articles à la mi-octobre. D'ici là, bonne continuation à tous.

vendredi 6 juillet 2007

Tracklaws en vacances...

Comme vous avez pu le remarquer, le rythme de publication a quelque peu changé ces derniers temps, le début du mois de juillet y étant évidemment pour beaucoup. Là où nous résidons actuellement, les connections Internet sont rares et l'ambiance de tranquillité qui y règne pousse plus à la détente qu'au travail. De retour le 21 juillet pour la préparation intensive du concours d'avocat (être bloggueur c'est bien mais être avocat, c'est encore mieux !), nous ferons vivre le blog à un rythme de vacances. Les articles ne seront pas quotidiens mais il y en aura de temps en temps et les rédacteurs seront susceptibles de varier : en d'autres termes, la formule estivale sera quelque peu différente de ce que vous avez connu jusque-là.

En attendant de vous retrouver en septembre, nous vous souhaitons d'excellentes vacances à tous.

jeudi 28 juin 2007

Dailymotion et Matignon : liaisons dangereuses ?

Les mouvements récents au sein de l'équipe de Dailymotion, le plus populaire des réseaux sociaux français, ont fait couler beaucoup d'encre. Pourquoi tant d'agitation ? Tout simplement parce que Séverin Naudet, le directeur des contenus du site de partage de vidéos, rejoint le pôle communication du cabinet de François Fillon où il occupera le poste de conseiller technique chargé de la presse. Son poste chez Dailymotion est attribué à Martin Rogard, l'ancien chef du pôle multimédia au ministère de la Culture, proche de Renaud Donnedieu de Vabres.

Certains, à l'instar du journaliste du Figaro, voient dans cet échange de bons procédés une éventuelle étape dans la prise en compte de la netéconomie en France. En d'autres termes, ils voient d'un bon oeil l'intrusion "d'éléments politisés" au sein d'un des leaders mondiaux de la vidéo en ligne dans la mesure où cela montre que le pouvoir politique s'intéresse aux jeunes start-up du Net qui réussissent. Ensuite, et c'est là que le meilleur arrive : le lien de filiation de Martin Rogard est particulièrement intéressant. En effet,
Martin est le fils de Pascal Rogard, le directeur de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), connu pour son lobbying intensif dans le domaine du cinéma et du théâtre. Comme le rappelle à juste titre l'article de Ratiatum, "c'est souvent lui qui monte au créneau pour négocier durement des lois ou des accords avec ou contre ceux qui exploitent les oeuvres audiovisuelles".

Les mauvaises langues s'amuseront donc de la confrontation à venir entre père et fils lorsqu'il s'agira de négocier des accords pour Dailymotion, ou encore du malaise qui règnera lors de la refonte (si refonte il y a...) de la loi DADVSI et de la rediscussion du statut des intermédiaires techniques (FAI et hébergeurs), que l'actuelle ministre de la Culture, Christine Albanel, souhaite responsabiliser et associer à la lutte contre le piratage. Pour le moment, il est vrai que les sites comme Dailymotion ou Youtube s'abritent largement derrière leur statut d'hébergeur pour rejeter toute responsabilité quant aux contenus diffusés sur leurs plates-formes.

Au-delà de ces questions propices à la polémique et du rejet traditionnel de l'association entre politique et médias, il faut s'intéresser au fond des choses : le devenir de la rémunération des auteurs et artistes-interprètes pour la diffusion de leurs oeuvres ou interprétations sur Dailymotion. C'est là, selon nous, le principal intérêt du lien de filiation de Martin Rogard : on ne peut qu'espérer d'une part, qu'il négociera au mieux pour obtenir une rémunération adéquate aux créateurs des contenus au lieu de favoriser les diffuseurs, et d'autre part, qu'il favorisera la mise en place de filtres sur la plate-forme afin que des contenus protégés ne puissent plus être mis en ligne en l'absence de tout contrôle. Nous lui souhaitons donc toute la réussite qu'il mérite dans ses nouvelles fonctions !

mardi 26 juin 2007

De nouveaux supports visés par la rémunération pour copie privée

Depuis le vote de la loi DADVSI du 1er août 2006 qui a consacré les mesures techniques de protection des oeuvres et le test des trois étapes en droit français, plusieurs voix se sont élevées pour mettre en garde contre la réduction inquiétante du domaine de la copie privée et ses conséquences sur l'avenir de cette exception au monopole conféré par le droit d'auteur et les droits voisins. Le débat portant sur la nature de la copie privée - droit ou exception - semble désormais révolu : la copie privée est une simple exception et pas un droit reconnu aux consommateurs. Il n'en reste pas moins que le législateur doit s'assurer de l'application effective des exceptions au monopole, en ce qu'elles garantissent un équilibre souhaitable entre auteurs et consommateurs d'oeuvres de l'esprit.

Ainsi, a été créée au début du mois d'avril dernier l'Autorité de régulation des mesures techniques en vue d'assurer l'équilibre des intérêts entre consommateurs et titulaires de droits. Cette dernière aura pour principale mission de garantir le bénéfice de l'exception pour copie privée, et de veiller à l'interopérabilité des mesures techniques. Du fait de sa jeunesse, cette autorité n'a pas encore, du moins à notre connaissance, tranché des questions importantes ou pris des positions claires en faveur du maintien d'un certain niveau de copie privée pour les consommateurs. Elle a cependant le mérite d'exister.

Dans ce climat d'incertitude où la copie privée a de plus en plus de mal à faire face à la démultiplication des moyens de contrôle des titulaires de droits, producteurs en premier lieu, la Commission chargée de déterminer le niveau de rémunération des créateurs sur les supports vierges pour le manque à gagner subi du fait des copies privées de leurs oeuvres effectuées par les consommateurs (ce qu'on appelle la "taxe pour copie privée"), vient d'élargir le champ des appareils auxquels cette taxe est applicable. Créée avec la loi de 1985, cette rémunération visait tout d'abord les CD's et les cassettes VHS vierges, puis les DVD et même, depuis 2001, certains supports comme les lecteurs mp3. Jusqu'ici tout allait presque bien mais depuis quelques jours, la Commission a imposé
une nouvelle redevance sur les clés USB, les disques durs externes et les cartes mémoires. Et là les choses se gâtent...

Pourquoi ce regain de tension? Tout d'abord parce qu'il est difficilement soutenable de mener à la fois une lutte contre la copie privée en multipliant les moyens de la réduire à néant tout en élargissant l'assiette de sa rémunération. Ensuite, au-delà des divergences entre les membres de la Commission (titulaires de droits qui perçoivent la rémunération v. fournisseurs et consommateurs qui s'en acquittent - voir pour un exemple de cette divergence les interviews publiées sur LCI.fr ), une question de concurrence se pose de manière évidente : le niveau de la rémunération pour copie privée en France est un des plus élevés d'Europe et il est supporté par les fournisseurs, qui le reportent sur les consommateurs. Les distributeurs de supports vierges se retrouvent ainsi dans l'impossibilité de lutter contre les prix de vente imbattables pratiqués par des sites Internet situés dans des pays où la taxe pour copie privée est moins élevée. Pour couronner le tout, ces mêmes distributeurs ne sont pas invités à siéger à la Commission afin d'y faire valoir leurs arguments, ce qui renforce leur frustration.

Des solutions ?
Comme le propose Thierry Desurmont, vice-président du directoire de la SACEM, "il faudrait réfléchir à une rectification de la loi pour que ce ne soit pas les consommateurs mais les sites qui leur vendent des supports vierges qui paient la rémunération". Cette solution est sympathique en théorie mais difficile à mettre en pratique, le contrôle de tous les points de vente sur Internet étant particulièrement fastidieux. Par ailleurs, modifier la loi française ne serait, à notre avis, que d'une efficacité limitée, une harmonisation européenne des règles applicables étant beaucoup plus efficace, même si le problème des sites extra-communautaires se posera toujours. Ces pistes sont à explorer, espérons qu'elles le seront vraiment et que le législateur ne se contentera pas d'augmenter la taxe pour copie privée sans réellement prendre le temps d'analyser les conséquences d'un tel acte.


Les niveaux de rémunération fixés par la commission (source : LCI.fr)

Ces nouveaux prélèvements prendront effet lorsqu'ils seront publiés au Journal Officiel, a priori début juillet.

Clés USB

* 512 Mo : 15 centimes
* 1 Go : 23 centimes
* 2 Go : 36 centimes
* 10 Go : 1€30

Cartes mémoire

* 512 Mo : 7 centimes
* 1 Go : 9 centimes
* 2 Go : 18 centimes
* 10 Go : 62 centimes

Disques durs

* 80 Go : 4€77
* 160 Go : 6€44
* 320Go : 9€16
* 1000Go (1 téraoctet) : 20€

lundi 25 juin 2007

Semaine "Lull" sur Tracklaws

Doux mélange de deux voix complices et d’une guitare inspirée de musiques du monde, le style du groupe Lull est épuré et dégage une mélancolie joyeuse qui donne envie de partager leur univers. Originaires de Montpellier, les deux membres du groupe ont sorti un premier album intitulé "Duo acoustique", que nous vous présentons cette semaine.

Bonne écoute et bon début de semaine à tous.


vendredi 22 juin 2007

Revue de presse

Comme vous avez pu vous en rendre compte, cette semaine a été plutôt calme sur Tracklaws, du fait de l'emploi du temps plutôt chargé de son rédacteur. Parallèlement, ces derniers jours ont été l'occasion de réfléchir, avec notre ami Bertrand Pautrot, à l'éventualité d'une association entre Spiderlaws et Tracklaws afin de créer une page unique, à même d'offrir une vision plus complète du droit de la communication, des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Vous serez bien évidemment tenus au courant en temps voulu de l'évolution de ce projet.

En attendant le retour de l'actualité sur Tracklaws lundi prochain, nous vous proposons une sélection d'articles intéressants à lire pendant le week-end :

- Piraterie informatique massive en Italie : LCI.fr, Le Monde.fr ;

- L'affaire Koltès ou les limites du droit moral de l'auteur : Brèves de droit de la propriété intellectuelle et de droit de la Culture ;

- Chut ! Nouveau blog pour débattre de l'avenir de la musique : ZD Net ;

- Point sur les attaques judiciaires menées contre Youtube et Dailymotion : Journal du Net .

mercredi 20 juin 2007

Le Blackberry interdit dans les hautes sphères de l'Etat français

Le Blackberry est une merveille de technologie qui fait partie intégrante de la vie de plusieurs millions de personnes à travers le monde. Son atout principal, outre une ergonomie en constate évolution et des fonctions assez diversifiées, consiste dans la possibilité de recevoir directement ses mails, sous réserve de payer un forfait supplémentaire à son opérateur téléphonique. Moins économique qu'un PDA (assistant personnel) muni de la Wi-fi, il permet néanmoins de ne pas être dépendant des points d'émissions des ondes Wi-fi, mois développés que les antennes-relais GSM, et donc de rester joignable partout, tout le temps.

Doté de telles qualités, il a fait fureur chez les cadres, les dirigeants d'entreprises ou les avocats...mais aussi chez les politiciens, que l'on voit toujours collés à leur téléphone. Cependant, son utilisation a été interdite par une récente circulaire envoyée dans les cabinets ministériels, à l'Elysée et à Matignon, pour des raisons de sécurité des données. La raison de l'interdiction est simple : cet appareil est fabriqué par la société canadienne Research in Motion (RIM), et l'ensemble des données transite par deux serveurs situés aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. On voit déjà au loin le risque de se faire espionner par le gouvernement américain, par l'intermédiaire de la National Security Agency (NSA), qui pourrait intercepter des communications contenant des informations confidentielles. Selon M. Juillet, haut responsable de l'intelligence économique auprès du gouvernement français, "les risques d'interception sont réels, c'est la guerre économique".

Comme l'explique un article publié aujourd'hui dans Le Monde, la grogne monte chez les utilisateurs privés de leur jouet favori. Ces derniers, à qui le Blackberry fait gagner un temps considérable et permet de rester disponible pour leurs proches, en dépit d'horaires souvent contraignants, ne comprennent pas pourquoi d'hypothétiques risques d'espionnage auraient raison de leurs habitudes. Ils devraient néanmoins s'estimer heureux, on les prive de Blackberry avant qu'ils n'en soient complètement dépendants, comme c'est le cas de certains Américains...Un article du New York Times publié il y a quelques mois expliquait en effet que nombre d'utilisateurs faisaient des dépressions du fait d'une utilisation intempestive de leur Blackberry car ils ne parvenaient plus à faire la différence entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, vivant alors dans un stress permanent. D'autres encore, se plaignaient de vives douleurs dans les articulations des doigts à force de manier la molette magique de leur appareil... Conclusion : en préservant la confidentialité des informations du gouvernement, il semble que l'on préserve également la santé de ses membres !

lundi 18 juin 2007

Semaine "Ehma" sur Tracklaws

Retour aux bonnes habitudes après une semaine sans présentation d'artiste sur Tracklaws. Dans la même veine que Robert Costlow, qui avait été mis en avant il y a quelques semaines sur nos pages, la musique d'Ehma s'inscrit dans le courant du minimalisme.

Emmanuel est né en Belgique, à Binche, en 1969. Déjà passionné de musique à la naissance, il sait qu'il sera technicien du son, l'avenir lui apprendra que non. Il découvre le piano en 1983. Jusqu'en 1988, ce n'est qu'une passion. A l'époque il se contente d'interpréter les oeuvres d'autres compositeurs comme Beethoven, Litz, Bach ou Satie. En 1997, après une déception sentimentale, il va composer sa première oeuvre issue d'une réflexion, d'une recherche et non plus d'une simple improvisation. C'est comme cela qu'est née « Mercredi 2 juillet 1997, 11 ans après ».

Il a depuis plusieurs albums à son actif, comme vous pourrez le découvrir en vous baladant sur son profil Jamendo. L'album mis en écoute ci-dessous, composé en 2003, est intitulé "La plage de Blâne-est".

Bonne écoute et bon début de semaine à tous.



vendredi 15 juin 2007

Politique et image : Internet impossible à contrôler ?

Il a souvent été reproché au nouveau président français, Nicolas Sarkozy, d'avoir un réseau de connaissances tentaculaire dans le milieu des médias, lui permettant d'exercer une certaine influence sur les contenus diffusés, que ce soit en termes d'informations ou de choix des images utilisées pour le présenter. Certains le considèrent même, non sans une pointe d'exagération il est vrai, comme un "Berlusconi à la française". Nous ne reviendrons pas ici sur les évènements intervenus durant la campagne, notamment l'affaire de Paris-Match ou les quelques déclarations menaçantes faites à des journalistes, mais sur une vidéo qui tourne sur Internet depuis une semaine et qui a déjà été vue plus d'un million de fois. Elle représente M. Sarkozy lors d'une conférence de presse au G8, à la sortie de son entrevue avec le président russe, Vladimir Poutine.



Au cours de cette conférence de presse, le président de la République, qui arrive en retard, n'est pas aussi vif qu'à son habitude, il se laisse aller à des sourires inexpliqués, a des mimiques étranges et semble même à un moment parler tout seul...en d'autres termes, il n'a pas tout à fait l'air d'être dans son état normal ! Ces images n'ont quasiment pas été montrées à la télévision française et, lorsque cela a été fait, les commentateurs ne se sont livrés à aucune insinuation quant à l'état du président. Eric Boever, le présentateur de la deuxième chaîne publique belge de la RTBF, a quant à lui introduit cette vidéo dans son JT en annonçant que le président "n'avait apparemment pas bu que de l'eau..." : polémique immédiate et arrivée de ladite vidéo sur Internet, fin annoncée du contrôle des images...

Deux jours plus tard, soit mardi dernier, le présentateur belge se rétracte et contacte l'ambassade de France à Bruxelles afin de présenter ses excuses, demandant expressément à ce que celles-ci soient relayées à qui de droit, "jusqu'à l'Elysée si nécessaire". C'est dire si la télévision, même étrangère, doit observer une certaine réserve lorsqu'elle parle d'un chef d'Etat, pour des raisons politiques évidentes. Mais que se passe-t-il, dans le même temps, sur la Toile ? La vidéo a été postée sur tous les sites de vidéos importants (comme YouTube ou Dailymotion) et a fait le tour du monde en un rien de temps. De plus, elle est souvent accompagnée de commentaires peu flatteurs, comme "Sarkozy ivre" ou encore "Sarkozy bourré au G8"... Les conseillers en communication sont alors dépassés par les évènements et ne peuvent, techniquement, supprimer la vidéo de tous les sites où elle est diffusée. L'entourage du président, interrogé sur ces images, s'est contenté de déclarer : "à l'Elysée, il n'est pas d'usage qu'on commente les plaisanteries de mauvais goût".

Cette mini polémique, si elle fait rire dans un premier temps (en tout cas lorsque l'on visionne la vidéo pour la première fois...), permet de réaliser l'impact d'Internet sur l'image des personnalités publiques qui y sont représentées. Quelle que soit la nature de son réseau de connaissances, personne n'est à l'abri sur la Toile, les sources à même de poster des contenus étant trop nombreuses et partant, incontrôlables. Il est vrai que cela présente un risque, en cas de détournement des images par exemple, d'atteinte à la vie privée ou de diffamation. Mais, en l'espèce, il n'y avait rien de tout cela et la vidéo (hors commentaires du présentateur belge), ne constitue qu'une information brute, dont Internet permet la diffusion massive alors que d'autres médias préfèrent garder le silence. Il semble qu'il faille donc composer avec un nouvel acteur dans la gestion de son image et ne pas s'arrêter aux médias traditionnels. Des riches héritières aux stars de la chanson, en passant par les hommes politiques, la fonction de personnalité publique devient décidemment de plus en plus difficile à gérer !

jeudi 14 juin 2007

Les représentants de l'industrie musicale reçus à l'Elysée

Selon un article paru aujourd'hui dans Les Echos, les représentants de l'industrie musicale rencontraient pour la première fois, ce matin à l'Elysée, les membres du cabinet du nouveau président de la République. Parmi ceux qui vont faire le déplacement, on trouve principalement des producteurs. Ces derniers seront représentés par le SNEP (Syndicat National de l'Edition Phonographique), l'UPFI (Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants), la SCPP (Société Civile des Producteurs de Phonogrammes) et la SPPF (Société des Producteurs de Phonogrammes en France). Du côté des sociétés de gestion collective, la présence de la SACEM est également prévue. Pour l'Elysée, cette prise de contact, qualifiée de "préparatoire", a pour principal objectif d'écouter les revendications de ces acteurs de l'industrie musicale afin de proposer ensuite des solutions plus adaptées - tout dépend bien sûr de quel côté on se place - aux enjeux actuels.

Comme le rappelle Les Echos, et cela avait d'ailleurs fait l'objet de développements sur Tracklaws à l'époque, Nicolas Sarkozy a clairement affiché pendant la campagne électorale son souhait de défendre avec vigueur les droits d'auteur, et son opposition ferme à la licence globale. Avec une telle vision, que reste-t-il si ce n'est la voie de la répression pour lutter contre le téléchargement sur Internet ? Il semble que les producteurs l'aient bien compris et qu'ils aient choisi d'exploiter au mieux cette nouvelle tendance répressive. Tout d'abord, le récent arrêt du Conseil d'Etat, en censurant la position de la CNIL, leur a ouvert la voie pour la constitution de fichiers de contrefacteurs. Ensuite, la nouvelle ministre de la Culture, Christine Albanel, a rappelé lors du Festival de Cannes l'intérêt de la riposte graduée en termes de lutte contre la piraterie numérique, comme l'avait déjà fait plus insidieusement la première circulaire d'application de la loi DADVSI du 1er août 2006, émise en janvier 2007. Fichiers de contrefacteurs et riposte graduée, lutte contre la piraterie main dans la main avec les fournisseurs d'accès et mesures d'information et de sensibilisation des internautes...on aurait pu penser que la coordination de ces moyens aurait été suffisante pour les producteurs. Mais cela ne semble pas être le cas : ces derniers veulent désormais mettre en place des "radars automatiques" sur la Toile afin d'automatiser les amendes en cas de téléchargements illicites. On peut parfois se demander ce qui leur passe par la tête... La prochaine étape est-elle la mise en place de "peines plancher" pour les récidivistes du téléchargement !?

Au milieu de cette "folie répressive", il faut espérer que d'autres questions seront soulevées au cours de cette entrevue et que les débats ne s'arrêteront pas à la mise en place de nouveaux outils de sanction. Les imperfections de la loi DADVSI sont nombreuses et ne se limitent pas au traitement du téléchargement ou aux DRM. On oublie malheureusement trop souvent les intérêts des auteurs et des artistes-interprètes pour se focaliser sur ceux des producteurs, partant de l'idée que sans eux, il n'y aurait plus de musique, alors que cela est de moins en moins vrai. D'autres problèmes n'ont pas trouvé de solution avec la nouvelle loi, et notamment celui de la rémunération équitable de l'article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle, ses modalités de répartition et la place qu'elle doit occuper par rapport au droit exclusif des artistes-interprètes. Si on doit remanier la loi DADVSI, alors il faudra le faire de manière substantielle, et non seulement sur les quelques points pour lesquels le lobbying aura été le plus important.

Dans un autre registre, il y a aussi la question de la "TVA sociale" : cette nouvelle taxe destinée à financer les nombreuses mesures voulues par le nouveau gouvernement sera-t-elle appliquée aux produits culturels ? Le SNEP a déjà tenté, il y a quelques années, d'obtenir la TVA à 5.5% sur le disque. Sans succès, celle-ci est restée à 19.6%. Va-t-elle atteindre un niveau supérieur prochainement ? Le prix du disque, déjà jugé trop élevé par les consommateurs, va-t-il encore augmenter ? Il serait en effet intéressant de se poser également ce genre de questions car le prix de vente des supports fait autant partie des raisons de l'effondrement du marché que le téléchargement, contrairement à ce que peuvent penser certains. Affaire à suivre donc...