vendredi 20 avril 2007

Licences Creatives Commons : quatre ans de compromis au service des auteurs

Quatre ans après leur transposition en droit français, les licences Creative Commons (CC) occupent désormais une place importante sur la Toile. Tracklaws, dont les contenus sont placés sous contrat Creative Commons, souhaite revenir aujourd'hui sur le fonctionnement de ces instruments juridiques particuliers, dont l'apparente flexibilité cache une protection efficace.

Les débats sur le droit d’auteur et les pratiques culturelles en ligne opposent deux approches économiques radicalement différentes : l’une fondée sur le partage, l’autre sur l’appropriation marchande. C’est de cette situation conflictuelle entre d’une part, les monopoles créés par le droit, et d’autre part, la philosophie libertaire qui règne sur internet qu’est née l’idée des licences Creative Commons qui s’inspirent de la GNU GPL (General Public Licence) mise en place pour les logiciels. Leur objectif premier était la conciliation de ces concepts, opposés par définition, mais dont la coexistence harmonieuse est nécessaire à la pérennité de la propriété intellectuelle dans l’univers du numérique.

1. Une liberté encadrée juridiquement

Creative Commons (CC) est une organisation internationale à but non lucratif installée dans les locaux de la faculté de droit de la prestigieuse université californienne de Stanford. Elle compte Lawrence Lessig, célèbre juriste américain et spécialiste des questions de propriété intellectuelle et de droit du Net, parmi ses directeurs. Depuis sa création en 2001, elle défend une conception de la propriété intellectuelle sur l’internet différente de celle du copyright et propose une alternative avec des outils efficaces pour aider les auteurs d’œuvres numériques au format vidéo, texte, photo ou musical, à partager et à utiliser leurs créations. En effet, les licences CC permettent à tout auteur d’autoriser la copie de son œuvre, sa diffusion et la création de dérivés sous un certain nombre de conditions (quatre au total) qu’il décide d’activer ou pas. Leur particularité réside en ce qu’elles offrent plusieurs options et qu’elles sont associées à des symboles, inspirés du symbole copyright, qui signalent de manière simple les droits existant sur l’œuvre. Cette simplicité est notamment due à l’utilisation de métadonnées juridiques pour stocker les informations relatives à l’auteur et à son œuvre.

D’origine américaine, les licences CC existent déjà en plusieurs langues. Leur transposition en droit français a été confiée en 2003 au CERSA (Centre d’étude et de recherche en sciences administratives) de l’Université Paris-II qui s’était porté volontaire. Depuis le 19 novembre 2004, six licences sont disponibles en France, dont la philosophie peut se résumer ainsi : « Share what you want, keep what you want ». A mi-chemin entre le «copyleft » et le copyright, ces licences permettent d’autoriser à l’avance le public à effectuer certaines utilisations des œuvres protégées selon les conditions exprimées par l’auteur au lieu de soumettre tout acte ne relevant pas des exceptions légales à l’autorisation préalable des titulaires de droits exclusifs. Il ne s’agit pas d’assurer une protection technique aux œuvres mais de proposer au public une information sur les droits et utilisations à titre gratuit.

Cette nouvelle approche de la liberté est bien plus favorable aux auteurs. En effet, quand on parle de licences libres habituellement, on fait souvent et inconsciemment référence à la liberté des utilisateurs , mais qu’en est-il des libertés des auteurs ? Il semble injuste qu’elles se limitent à la simple possibilité de diffuser leur travail pour que d’autres puissent en profiter. C’est pourquoi les licences CC tentent d’une part, d’adapter les droits des auteurs à ce nouveau média qu’est Internet, et de fournir, d’autre part, un cadre juridique pour le partage sur le Web d’œuvres de l’esprit comme les images, les sons ou les textes alors que les premières licences libres n’avaient été pensées que pour la diffusion de programmes informatiques. Elles donnent ainsi à l’auteur un meilleur contrôle sur son œuvre en permettant d’individualiser les différents droits qui feront l’objet d’une suspension dans leur exercice et de préciser ceux qu’il n’entend pas suspendre. Bien évidemment, il est interdit de placer sur l’œuvre des mesures techniques allant à l’encontre des autorisations consenties.

2. Un outil contractuel simple

Les licences CC pourraient être comparées à un jeu de construction pour enfants en bas-âge. Un lego très simple, uniquement constitué de quatre briques et qui ne permet que des constructions limitées, la plus complexe étant le triplet. L’ensemble de ces combinaisons permet de fabriquer onze licences différentes aux Etats-Unis ainsi que dans la plupart des pays de copyright mais en France, seulement six versions sont accessibles.

Les quatre conditions initiales sont représentées par des icônes qui leur permettent d’être facilement identifiables. La première se nomme «Attribution », elle oblige l’utilisateur qui souhaiterait diffuser une œuvre à créditer l’auteur du travail original ; la deuxième, «No Commercial » (pas d’utilisation commerciale) , interdit qu’il soit fait un usage commercial de l’œuvre enregistrée ; la troisième, «No Derivate Works » (pas de travaux dérivés »), interdit que l’œuvre, si elle est diffusée, soit modifiée ; et la quatrième, «Share Alike » (partage à l’identique) concerne les œuvres dont l’auteur a accepté la modification. S’il choisit cette option, les modifications apportées devront être diffusées sous les mêmes termes que l’orignal. C’est donc en combinant ces quatre conditions que l’on peut obtenir six licences en fonction des droits que l’on souhaite partager. Cela peut aller du simple crédit de l’auteur (ce qui laisse alors à l’utilisateur la liberté de modifier le travail, de le distribuer sous n’importe quelle licence et de pouvoir en faire une utilisation commerciale) ou de l’absence de toute paternité jusqu’au strict respect de l’œuvre, en demandant qu’elle ne soit ni modifiée ni utilisée pour en retirer des bénéfices.

Devant plusieurs possibilités, on pourrait craindre de rencontrer des difficultés lors du choix de sa licence et de sa mise en place mais ce n’est pas du tout le cas. Le site est là pour guider les auteurs et leur faciliter le travail. Tout d’abord, il comporte une présentation claire et simple des différentes situations dans lesquelles on peut utiliser les licences et surtout, il y a un formulaire de sélection. Une fois que l’auteur sait ce qu’il veut protéger et ce qu’il veut partager, il lui suffit de se rendre sur la page du choix d’une licence et de remplir les champs proposés. Il obtient alors un morceau de code HTML qu’il devra placer dans ses pages web pour signifier aux visiteurs que leur contenu est sous licence CC. En France, les six combinaisons disponibles sont les suivantes :

(1) paternité ;
(2) paternité et pas de modification ;
(3) paternité et pas d’utilisation commerciale
(4) paternité, pas d’utilisation commerciale et pas de modification ;
(5) paternité, pas de modification et partage des conditions initiales à l’identique ;
(6) paternité et partage des conditions à l’identique .

Et si du côté des auteurs, les licences CC sont très simples d’utilisation, il en va de même pour les utilisateurs en raison de leur forme particulièrement facile à comprendre. En pratique, les licences des produits Windows ou de tout autre produit commercial sont si longues et compliquées qu’elles ne sont que rarement lues jusqu’au bout, les utilisateurs se contentant de cocher la case «Oui, je déclare avoir pris connaissances des conditions d’utilisation du produit » afin de pouvoir passer à l’étape suivante dans l’installation du produit. D’ailleurs, les licences libres comme la GNU/GPL, la Mozillla Public Licence (MPL) ou autres, sont quasiment aussi incompréhensibles que celles des produits commerciaux. Il y a bien sur, concernant la GPL notamment, suffisamment de présentations sur divers sites pour que tout le monde puisse comprendre sa signification et ses caractéristiques mais l’utilisateur final n’aura sous les yeux que la version juridique, difficile à appréhender pour un non initié.

Avec les CC, le travail de vulgarisation est déjà fait. Trois versions de la licence sont proposées à l’utilisateur final : une version graphique, reprenant les icônes des conditions de base, qui explique en quelques mots les droits et devoirs de chacun. C’est cette version que l’utilisateur découvrira en cliquant sur le lien «Creative Commons» placé à côté de l’œuvre ; la version légale rédigée dans le classique jargon juridique, à peine compréhensible par des non initiés mais indispensable car seule valable légalement parlant ; et une version en métadonnées RDF, partie intégrante du code HTML fourni lors de l’enregistrement de l’œuvre. Grâce à cette triple présentation, les utilisateurs des textes, sons, images ou vidéos placés sous licences CC auront tous les outils en main pour comprendre clairement la façon dont l’auteur entend partager son œuvre.

3. Conclusion

Le mouvement Creative Commons est apparu lors de sa création comme la première tentative sérieuse d’adapter de manière précise les droits des auteurs et la protection de leurs œuvres aux possibilités que fournit internet : le téléchargement, la diffusion de copies, la publication d’œuvres modifiées, la collaboration dynamique, etc. Entre les larges libertés conférées par des licences telles que la GPL ou la licence Art libre et la rétention intégrale du droit d’auteur, inadaptée à la diffusion sur le Web, les Creative Commons empruntent une voie intermédiaire, plus nuancée, assurant à l’auteur que les informations relatives à ses droits et à ses autorisations seront accessibles pour les utilisateurs, tout en lui permettant de collaborer et de partager avec d’autres. Cette initiative provenant des acteurs du réseau eux-mêmes permet un lien direct entre l’auteur et les utilisateurs de son œuvre, lien qui constitue semble-t-il le socle du partage de demain et l’évolution nécessaire de la diffusion des œuvres sur le Web. L’ère numérique ne permet plus la bonne application des principes de 1957 (ni mêmes de ceux de 1985). Il est temps aujourd’hui de repenser le système en donnant plus de libertés, tant aux auteurs qu’aux utilisateurs, et en réduisant l’importance accordée aux intermédiaires, aussi bien en matière de diffusion que de gestion collective des droits. La philosophie de partage qui règne sur internet est en trop grande contradiction avec la logique protectionniste du droit d’auteur français, ce qui aboutit pour le moment à un rejet de plus en plus préoccupant du droit de la propriété intellectuelle par le corps social et donc à une mauvaise application des règles édictées par ce droit. La protection oui... mais pas au détriment de la liberté !

A lire également : intéressant article de Philippe Astor publié sur Zdnet - "Quand la musique s'inspire du logiciel libre".

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