mercredi 11 avril 2007

P2P : recueil d'adresses IP par les agents assermentés et protection des données personnelles

Le 28 juillet 2004, était signée entre les professionnels de la musique, les fournisseurs d'accès Internet et les opérateurs de télécommunications, la Charte Musique et Internet comprenant des engagements pour le développement de l'offre de musique en ligne, le respect du droit de la propriété intellectuelle et la lutte contre la piraterie numérique. Presque trente mois après la signature de ce document, un bilan d'étape des travaux du Comité de suivi de la Charte Musique et Internet (CSCMI) a été adressé le 21 mars 2007 au ministre de la culture et de la communication et au ministre délégué à l'industrie. En annexe du bilan d'étape figurent les décisions de justice concernant les procès verbaux d'agents assermentés visés par l'article L.331-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), dans le cadre de procédures relatives à la mise à disposition d'enregistrements musicaux sur Internet via des logiciels P2P.

L'article L.331-2 du CPI prévoit que "la preuve de la matérialité de toute infraction aux dispositions des livres I, II et III du présent code et de l'article 52 de la loi nº 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle peut résulter des constatations d'agents assermentés désignés [...] par les organismes professionnels d'auteurs et par les sociétés mentionnées au titre II du présent livre. Ces agents sont agréés par le ministre chargé de la culture dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat".

Sous la pression des syndicats d'auteurs qui craignaient les conséquences du développement des échanges de fichiers sur la Toile, le législateur, dans la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, a permis aux sociétés aux organismes professionnels d'auteurs et aux sociétés de gestion collective de pratiquer la collecte de données et leur traitement informatique après avoir recueilli l'assentiment de la CNIL. Ainsi, l'article 9-4 de cette loi précise que "les traitements de données personnelles relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre que par : [...] 4° les personnes morales mentionnées aux articles L.321-1 et L.331-1 du CPI, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le comptes des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres I, II et III du même Code aux fins d'assurer la défense de ces droits". Mais cette nouvelle prérogative ne peut être exercée qu'avec l'accord de la CNIL, qui vérifiera la nature, l'étendue, et le caractère proportionné des traitements de données, ainsi que les conditions de leur conservation. Par ailleurs, en vertu de l'article 34-1 du Code des postes et des communications électroniques, les données ainsi recueillies ne peuvent acquérir un caractère nominatif que dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Les organismes professionnels d'auteurs comme la SCPP, qui considèrent que leurs agents ne se livrent pas à un traitement automatisé de données lorsqu'ils recueillent l'adresse IP d'un contrefacteur sur Internet, ne demandent pas l'autorisation de la CNIL avant de procéder. Alors, dans plusieurs affaires, les avocats de la défense ont tenté d'obtenir la nullité du procès-verbal de l'agent assermenté au motif qu'il constituait un traitement de données à caractère personnel illicite puisque non autorisé. Dès lors, la problématique est la suivante : le recueil d'une adresse IP par un agent assermenté constitue-t-il un traitement automatisé de données nécessitant, selon les termes de l'article 9-4 précité, une autorisation de la CNIL, ou relève-t-il du pouvoir de constatation des infractions reconnus aux agents assermentés par l'article L.331-2 du CPI ?

Dans la majorité des cas qui leur ont été soumis, les juges ont validé l'action des agents assermentés en dehors de l'autorisation de la CNIL, considérant que le recueil d'éléments de preuve dans le but de les transmettre à des enquêteurs de police, seuls à même d'identifier le prévenu dans le cadre d'une procédure judiciaire, n'était pas constitutif d'un traitement de données à caractère personnel. Pour exemple, la Cour d'appel de Pau, dans un arrêt du 24 août 2006 confirmant un jugement du TGI de Bayonne du 15 novembre 2005, estime valide le procès verbal de l'agent assermenté au motif qu'en "agissant comme il l'a fait, [il] n'a pas recouru au traitement de données personnelles qui aurait nécessité une autorisation de la CNIL". A cette occasion, la Cour précise que "les éléments du dossier permettent de constater que l'agent assermenté a agi dans le cadre des articles L.331-2 et L.321-1 du CPI, qui permet à des agents assermentés de constater les infractions à ce code". Seul le Tribunal correctionnel de Bobigny, dans un jugement du 14 décembre 2006, a relaxé un internaute pour vice de procédure, considérant que les preuves de sa culpabilité avaient été recueillies illégalement par un agent assermenté de la SCPP. Cela apparaît cependant comme une décision isolée à l'encontre de laquelle le Parquet de Bobigny a d'ailleurs interjeté appel à titre principal.

Malgré l'efficacité relative de telles mesures dans la lutte contre les échanges illégaux sur Internet, il semble, au vu de ce qui précède, que les agents assermentés des organismes professionnels d'auteurs et des sociétés de gestion collective pourront continuer à surfer sur les réseaux pour repérer des adresses IP de contrefacteurs et ce, sans avoir à en référer à la CNIL. Ils devront cependant être vigilants aux méthodes employées afin de ne pas outrepasser les limites de leur mission.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Encore une fois, cela prouve que l'on présume la lutte contre la contrefaçon prioritaire sur la protection de la vie privée... Pourtant, la vie privée est une liberté publique défendue par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme alors que la propriété intellectuelle - inexactement rattachée à la propriété matérielle lorsque l'on parle de liberté publique - n'a selon moi aucun fondement constitutionnel et ne fait en tout cas absolument pas parti du noyau dur des droits de l'Homme !
Mais bon un tel discours n'est sans doute pas juridiquement correct... enfin pour le moment.