jeudi 12 avril 2007

Naissance de l'Autorité de régulation des mesures techniques

L'ambiance pour le moins tendue dans laquelle s'est déroulé le vote de la loi DADVSI du 1er août 2006, du fait de l'antagonisme des intérêts en présence, a conduit le législateur à adopter une position nuancée. Il a certes posé le principe de la validité du recours à des mesures techniques de protection et d'information sous forme électronique des oeuvres, et de leur protection juridique, mais il a également créé l'Autorité de régulation des mesures techniques en vue d'assurer l'équilibre des intérêts entre consommateurs et titulaires de droits. Cette dernière aura pour principale mission (i) de garantir le bénéfice de l'exception pour copie privée, et (ii) de veiller à l'interopérabilité des mesures techniques. La naissance effective de l'Autorité était conditionnée par la publication d'un décret qui, selon les termes de l'article L.331-21 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), issu de l'article 17 de la loi DADVSI, devait fixer "les règles applicables à la procédure et à l'instruction des dossiers". Ce décret a été publié en fin de semaine dernière.

Instituée par l'article L.331-17 du CPI, l'Autorité de régulation des mesures techniques est une autorité administrative indépendante (AAI) qui "assure une mission générale de veille dans les domaines des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres et des objets protégés par le droit d'auteur ou par les droits voisins". Une autorité administrative indépendante (AAI) est une institution de l'Etat, chargée, en son nom, d’assurer la régulation de secteurs considérés comme essentiels et pour lesquels le gouvernement veut éviter d’intervenir trop directement. Ces institutions appartiennent à une catégorie juridique particulière car, contrairement à la tradition administrative française, elles ne sont pas soumises à l’autorité hiérarchique d’un ministre, constituant ainsi une exception à l’article 20 de la Constitution française selon lequel le gouvernement dispose de l’administration. Elles disposent cependant d'un certain nombre de pouvoirs (recommandation, décision, réglementation, sanction). Parmi les AAI les plus connues, on peut citer le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), ou encore, la toute première, créée dès 1978, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).

L'Autorité de régulation des mesures techniques est composée de six membres nommés pour six ans. Ils sont issus du Conseil d'Etat (Jean Musitelli), de la Cour de cassation (Marie-France Marais), de la Cour des comptes (Patrick Bouquet), du Conseil supérieur de la propriété artistique et littéraire (Pierre Sirinelli), de l'Académie des technologies (Christian Saguez) et de la commission de la rémunération pour copie privée (Tristan d'Albis).

L'Autorité peut être saisie par les ayants droit, les consommateurs ou les organismes qui les représentent, mais aussi par les éditeurs de logiciels, fabricants de systèmes techniques ou exploitants de services. La saisine se fait par simple envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception. Le décret distingue (i) les règles de procédure applicables en matière d'interopérabilité des mesures techniques, de (ii) celles applicables en matière d'exception au droit d'auteur et aux droits voisins. En cas d'échec de la procédure de conciliation entre les parties, l'Autorité pourra, si elle l'estime nécessaire et au terme d'une procédure contradictoire, (i) soit enjoindre au titulaire des droits sur la mesure technique de prendre toutes les mesures propres à assurer l'accès du demandeur aux informations essentielles à l'interopérabilité, (ii) soit enjoindre à la personne mise en cause de prendre les mesures propres à assurer le bénéfice effectif de l'exception au droit d'auteur et aux droits voisins. Les recours contre les décisions de l'Autorité s'exercent devant la Cour d'appel de Paris.

La création de cette nouvelle institution est une bonne chose dans la mesure où elle devrait contribuer à la recherche d'équilibre entre les intérêts des consommateurs et la nécessaire protection des droits d'auteur et des droits voisins sur Internet. De plus, les membres de l'Autorité sont des spécialistes, bien plus compétents que les parlementaires pour appréhender ce genre de question à la limite de la technique et du droit. Dès lors, on ne peut que les encourager et leur souhaiter bon vent dans l'accomplissement de leur mission, dont la difficulté est à la hauteur de l'enjeu.

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